« Fischkopf est vraiment une partie de moi-même. Je suis fier de lui avoir donné cette direction et cette force, qui lui ont permis de devenir un label important de l’histoire du hardcore électronique. »
Hardy (co-fondateur et « directeur artistique » de Fischkopf)
Nous sommes en l’an de grâce 1994 à Hambourg (1,6 millions d’habitants), sur l’Elbe au confluent de l’Alster, le premier port d’Allemagne (c’est un fait : les grands ports industriels sont historiquement des points nodaux du hardcore international : Rotterdam, Newcastle, Kobé...).
A Hambourg, donc, le disquaire + label Container Records règne sur la scène locale alors essentiellement axée goa, hard-trance et house vocale. « Même la bonne techno underground et la jungle/d&b ne pesaient pas lourd » se souvient Hardy. Le boss de Container-Martin Larsen-après une expérience peu concluante avec les gens de ce qui deviendrait plus tard Crossfade Entertainment, se met en tête de doter sa petite affaire d’une succursale hardcore. N’étant pas spécialiste du genre, c’est tout naturellement qu’il contacte Gerhard Storz aka Hardy, celui qui à l’époque croit et milite le plus pour cette musique dans la ville. Voilà comment naît Fischkopf.
Comme l’idée n’était au départ que d’occuper le terrain, nous ne sommes pas passés loin d’un énième label de gabba allemand-guitares-samplées-braillard . Mais Hardy de par sa culture musicale avait d’autres plans. Substituant à l’éternelle tête de mort une tête de poisson préhistorique stylisée, agressive, il va orienter le label vers des choses plus goutues et perturbantes. Pour autant Fischkopf n’est pas l’unique précurseur. Il s’inscrit dans un courant global qui voit le hardcore entrer dans l’age adulte : en 94, Praxis œuvre dans une techno hard, industrielle et mature depuis déjà deux ans. En France Epiteth, Radikal Groov, Gangstar Toons Industrie poussent tout juste leurs premiers cris hors normes. Et même d’Allemagne nous parviennent presque simultanément les premiers jets de Napalm. Pas un cas isolé donc, mais un élément décisif qui pour beaucoup sera le déclic. « C’était une base pour la musique underground libre, sans aucune règle. C’était aussi une réaction à l’essor de la scène Nordcore-PCP. J’avais la volonté de montrer aux gens le potentiel de la vraie musique underground. J’ai juste fait ce dont j’avais envie , sans intention de dominer la scène. »
Hardy revendique comme influence de départ des muses aussi variées qu’Aphex Twin, l’acid house, le hardcore anglais, le hiphop, Kraftwerk, David Bowie, les splatter movies et autres films d’horreur, Brian de Palma, Martin Scorsese, la litterature underground américaine... « Je remercierai toujours Michael Wells et sa femme (le duo GTO) qui ont été une grande source de fun et d’influence pour moi, Michel Comte et son zine TNT, ainsi que Christoph Fringelli de Praxis/C8 dont je respecte énormément le travail jusqu’à aujourd’hui »
Pour la posterité, 25 galettes (23 ep + 2 lp) qui explorent divers champs hardcores de manière cérébrale et/ou viscérale. Avec comme dénominateur commun de rassembler des producteurs charismatiques dotés chacun d’une vision. Ce n’est pas si commun lorsqu’il est question d’aligner du kickdrum. Ainsi on pourra rester insensible à certaines excroissances du catalogue mais il faut admettre, en consultant les années de sorties, qu’il y avait le plus souvent prise de risque. Une volonté de se démarquer du tout venant HC sans pour autant s’assoupir dans l’expé chiant. Un soucis qu’on retrouve jusque dans l’artwork des disques qui tranche avec le coté au mieux inexistant, au pire franchement craignos du gros de la production d’époque.« C’était important pour moi. Nous voulions proposer quelque chose d’un peu différent du style dogmatique. C’est le résultat du travail de Cola, mon amie d’alors. »
Le monstre est lâché : en quatre ans vont défiler Martin Damm, Patric Catani, Lasse Steen, Nawoto Suzuki, Joerg Buchholz, EPC et autres figures emblématiques d’un certain hardcore dont la France fut particulièrement friande.
« La plupart des artistes étaient retenus sur envoi de démos. Dans le cas de No Name, c’est Taciturne qui a séjourné plusieurs fois à Toulouse qui m’a passé une K7 de son travail, et j’ai immédiatement décidé de le presser en vinyle [Comme on le comprend...NDLR] ». Et si de nombreux deejays déplorent le son étouffé d’une partie du catalogue, chacun a en bac son petit disque fétiche estampillé Fischkopf.
Les meilleurs e.p pour Hardy : « ceux de Taciturne, c’est lui qui avait le plus de talent et la meilleure personnalité. Je le remercie d’avoir eu la confiance de me donner toutes ses sorties. Et le premier No Name, le Fischkopf 16. ».
Celui qui a vendu le plus : « le huitième, par Taciturne, y compris en Hollande le pays du gabber. Mais compte tenu de leurs styles, on peut dire que toutes les références ont très bien marché »
C’est connu, le succès attire les ennuis. En 1997, Hardy est évincé de la maison suite à des problèmes avec les gens de Container. « Je n’ai pas gagné le moindre argent pour mon travail sur Fischkopf » souhaite-t-il préciser. Après le split, il monte Otaku Records son propre magasin de disques à Hambourg, puis Blut, un autre label hardcore qui compte six excellentes références et peut être vu comme un prolongement direct de la tête de poisson. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si on y retrouve Taciturne, Amiga Shock Force et Naoto Suzuki...
Aujourd’hui Hardy a pris ses distances avec le noyau dur. « J’ai beaucoup de travail avec le magasin de disque qui grossit sans cesse. Et ma vie a pris un chemin différent. Peut-être suis-je trop vieux...cela dit on vend encore des trucs undergrounds à Hambourg, principalement du breakcore. Je pense surtout à DJ Baze Junkii qui est un bon activiste de la nouvelle génération. Mais je ne suis plus dans le son électronique minimal et abstrait. J’adore tellement de musiques différentes... »
Les années passent, les sillons restent.
Source: Signal Zero
Dernière modification par Nass (22-08-12 15:25:09)