Interview de Reno ex Teknocrates et fondateur du label Expressillon

Comment passer à côté d’Expressillon quand on parle de techno ? Créé en 1997 par un activiste plus que motivé, douze ans après, il est toujours présent et édite des galettes qui régalent les oreilles de nombreux techno-addicts de par le monde. Entretien avec Reno, le créateur du label.

L.G: Peux-tu nous expliquer ton parcours musical ?

Reno:Issu d’une famille où la musique, excepté le jazz, était majoritairement considérée comme du bruit nauséabond, je n’ai bénéficié d’aucune éducation musicale particulière, et même adolescent, la musique n’était pas essentielle pour moi. J’écoutais donc tout ce qui par un moyen ou un autre arrivait à mes oreilles, sans passion débordante, mais avec tout de même des préférences, selon les périodes, pour des artistes allant de Prince et James Brown à Talking Heads, Depeche Mode, The Cure ou encore Noir Désir, Gainsbourg, et même Kraftwerk… La "révélation" ne vint qu’au début des années 90 avec la découverte des musiques électroniques, les premières soirées/rave (Mozinor), Rave Up sur Radio FG et surtout l’arrivée des Spiral Tribe à Paris en 1992.

L.G: Qu'est-ce qui t'a poussé à monter ton label ?

Reno: De 1992 à 1996, ce fut "Rave on !" non stop (sourire). Tout d’abord en tant que raver monté sur ressorts, puis au sein de Technokrates avec qui nous avons organisé de très nombreuses soirées, participé à tous les teknivals, etc… Et vu les "free parties" passer de 50 personnes à plusieurs milliers. Divers facteurs et dérives m’ont alors poussé à prendre mes distances avec l’organisation de soirées, mais je voulais absolument continuer à m’investir dans ce mouvement. Je connaissais alors pas mal d’artistes, majoritairement issus de la "scène free" qui ne trouvaient pas de structure adaptées pour diffuser leurs créations sonores. Je m’y suis alors mis produisant un premier vinyle, puis un second, etc… Très rapidement nous nous sommes attachés avec Expressillon à distinguer l’esprit et les moyens de diffusion qu’ imposait la scène free, de la valeur même des productions qui en émanaient, en mettant tout en œuvre pour promouvoir et diffuser ces dernières au-delà de tout microcosme

L.G: Comment la connexion avec les Anglais s'est-elle faite ?

Reno : Par Anglais, j’imagine que tu sous entends Spiral Tribe… J’ai eu la chance en 1992 d’assister par hasard à leur première soirée à Paris et mon engouement pour leur état d’esprit et leur musique fut total. Bien que présent à quasi toutes les soirées et/ou Teknivals qu’ils organisèrent dans la foulée, ce n’est que quelques années plus tard que nous nous sommes réellement rencontrés. Des liens d’amitié se sont rapidement tissés.
La création d’Expressillon coïncida de plus avec la fin de Network23 (le label de l’époque de Spiral Tribe & co) et c’est donc assez naturellement que j’ai commencé à produire la musique de 69db, Crystal Distortion, Ixy… Depuis, l’aventure humaine et artistique se poursuit et nous sommes devenu très proches.
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L.G: Comment expliques-tu le fait qu'autant de vinyles se vendent encore malgré sa mort annoncée il y a tant d'années ?

Reno : Essentiellement car les vinyles sont destinés à des amateurs au sens noble du terme que les différentes évolutions technologiques n’ont pas détournés de leur passion. De plus l’objet demeure au niveau sonore et esthétique inégalable. Toutefois les ventes de vinyles semblent également touchées dorénavant et ne cessent de diminuer, notamment en France, depuis quelques mois…

L.G: Est-il dur de tenir à flot un label de nos jours ?

Reno : Cela devient très compliqué économiquement parlant, les ventes de supports physiques ayant irrémédiablement et fortement chutées sans être du tout compensées par l’avènement du digital.

L.G: Quelles sont tes 3 meilleures ventes ?

Reno : Depuis 1997, nous avons publiés plus de 150 maxis sur les différentes subdivisions (Expressillon, Perce-Oreille, Passe-Muraille, dub technic, etc…) et près d’une quarantaine d’albums. Notre meilleure vente en vinyle reste le Perce-Oreille 7 par Crystal Distortion (1998) qui au fil des années a dépassé les 10 000 exemplaires. Et en CD, c’est également Crystal Distortion avec son album 8 66 and Counting (2001) et son Chip Jockey (2002), suivi de peu par la première compilation Perce-Oreille (2000) et la compilation Network23 (2004).

L.G: Y a-t-il des artistes dont tu n'as pu sortir de disque et pour lesquels tu as des regrets ?

Reno : Il y a des artistes talentueux dont j’ai fortement apprécié la musique et avec lesquels j’aurais pu collaborer mais humainement ça ne passait pas… donc ça na pas abouti. C’est en effet regrettable mais c’est ainsi ; impossible pour moi de passer outre. Et non tu n’auras pas de nom (rires).

L.G: Si tu pouvais signer un groupe non electro et que tu apprécies ?

Reno : Celui avec qui une vraie rencontre humaine aurait lieu, dont la musique me séduirait, tant sur disque que sur scène, et avec qui nous pourrions mutuellement nous apporter quelque chose. Pas si simple (sourire). La musique africaine m’intéresse beaucoup en ce moment et beaucoup des artistes qui la jouent me fascinent. Donc sait-on jamais… En tout cas, ce n’est pas du tout exclu qu’à l’avenir des projets non electro voient le jour chez Expressillon.

L.G: Quels sont tes futurs projets ?

Reno : Ils sont nombreux… Dans l’immédiat, plusieurs vinyles à venir : "Real Street Shit" par Maelstrom qui succède à "Music Device" de Crystal Distortion sur Expressillon ; "Hard dubstep" de Uzul qui succède à "Dr Doom" de Niveau Zero sur Dub Technic ; un nouveau Perce-Oreille par Funny Ox et Mentalo…
Nous enregistrons actuellement à Londres le premier album de BaD GirlZ, un duo explosif composé de Ixindamix & Mc Sim Simmer (la "voix" de Spiral Tribe) et prévoyons notamment, pour l’automne, un nouveau Chip Jockey (série d’albums enregistrés dans les conditions du live) avec Tambour Battant. Crystal Distortion travaille également à un nouvel album, le premier depuis 2004, et nous poursuivons l’aventure avec Maelstrom et des projets de vinyles et d’album. 69db nourrit également plusieurs projets, notamment la création de Catwax, label électro funk avec de nombreuses collaborations.
Nous poursuivons également notre mission de sauvegarde du patrimoine avec la poursuite des rééditions Network23, mais également la réédition des œuvres de Curley alias Curley Schoop ou Esoteric, figure de l’underground du milieu des années 90, décédée en 1998, et dont les productions doivent impérativement être transmise à la nouvelle génération.
Nous prévoyons également pour la saison 2009/2010 plusieurs "Chip Jockey Party" en France et en Europe.
Enfin, en parallèle de notre activité de label, nous avons ouvert récemment notre site de vente en ligne www.networkshop.fr où on peut trouver toutes nos productions ainsi qu’un large catalogue choisi par nos soins et constamment renouvelé, du merchandising, des séries limitées, des exclusivités,..

L.G: As-tu une vie en dehors du label ?

Reno : Je n’ai qu’une seule vie et elle est intimement liée à celle du label. Lors de mon temps libre, j’aime aller par exemple en soirée ou aux concerts où je retrouve les gens avec qui je travaille. Réciproquement la plupart des gens avec qui je travaille sont mes amis avec qui je passe mon temps libre… Pas facile de faire la part des choses. Je trouve tout de même le temps d’avoir une vie de famille, avec femme et enfants, très "épanouie" (rires).

L.G: Tu as été membre d'un collectif devenu culte par la suite (car précurseur) : Les Teknocrates. Ça te fait quoi de savoir qu'on voue un culte aux Sound Systems du passé ?

Reno : C’est bien de s’interroger sur l’origine d’un mouvement ou d’un courant musical et d’en découvrir l’histoire. Ensuite, il ne faut pas aller trop loin… En tout cas, cela a généré des pseudo légendes ou des mythes souvent délirants et très éloignés de ce que l’on a pu vivre à l’époque. Cela me fait donc sourire…

L.G: Est-tu nostalgique des débuts de la techno dite "free" du début des 90's ?

Reno : Je ne suis pas quelqu’un de nostalgique, ce qui en général ne sert pas à grand-chose. Je suis très heureux d’avoir eu la chance de vivre pleinement cette période, l’avènement d’un mouvement et d’une musique nouvelle, le tout sur fond de psychédélisme et d’utopie. Aujourd’hui, c’est le futur qui m’intrigue. A nous et les générations suivantes d’en faire quelque chose d’encore plus incroyable.

L.G: Est-il dur de tenir à flot un label de nos jours ?

Lunatic Asylum : Il y a en effet quelques titres utilisant des percussions "live" tirées de Cd de samples. Il y a eu un moment où je me suis lassé du tout électronique, j'ai voulu ajouter une touche un peu plus humaine dans certains de mes morceaux grâce à ces boucles enregistrées par de vrais batteurs. Pour ce qui est des guitares, il s'agit pour la plupart de sons de synthés passés dans des simulateurs d'ampli. J'utilise uniquement des instruments virtuels, depuis que ma Mackie numérique est tombée en panne, j'ai laissé de côté mes machines pour me concentrer uniquement sur tout ce qui se fait en matière de synthés virtuels. Je compose toutefois toujours de la même manière sur Logic audio. Que cela soit avec des VSTi ou des machines en hardware, la méthode reste la même. J'ai collaboré avec El Infini, une amie, sur un des titres de l'album. Elle a écrit de nombreux poèmes et je voulais absolument en utiliser au moins un sur l'album.