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mayaBZH · Membre +

24-12-11 02:43:46

14-07-11 · 641

  

Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies






L'ecstasy :
recherche pilote



Novembre 1997
Convention n° 96 - 04
Etude réalisée par :
Institut de Recherche en Epidémiologie de la Pharmacodépendance



OFDT
Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies
105 rue Lafayette
75 010 PARIS
Tel : 01.53.20.16.16
Fax : 01.53.20.16.00
e-mail : [email protected]


----------------------------------


IREP
Institut de Recherche en Epidémiologie de la Pharmacodépendance
34 rue Jean Cottin
75 018 PARIS
Tel : 01.46.07.10.29
Fax : 01.46.07.11.29






Equipe de recherche:
Rodolphe INGOLD (Directeur Scientifique)
Mohamed TOUSSIRT (Coordinateur de terrain)
Azzedine BOUMGHAR (Traitement statistique)
Jean-Charles MARIE (Exploration du réseau Internet)
André BENEZECH (Enquêteur, Paris et extensions)
Pascal CWIKLINSKI (Enquêteur, Lille et extensions)
Isabelle DAMIANI (Enquêteur, Lille et extensions)
Sigrid BEYELER-MOYZES (Enquêteur, Paris)
Safia SOLTANI (Enquêteur, Paris et extensions)
Marie LEGENDRE (Saisie des données)

Cette recherche, réalisée sous la Direction de Rodolphe INGOLD, a bénéficié de
deux contributions spécifiques, celle de Jean-Charles MARIE (chapitre VII) et celle
de Sigrid BEYELER-MOYZES (chapitre IX). Nous remercions l’ensemble de nos
partenaires pour leur contribution et plus spécialement : Bernard BOUSSET (SNEG),
Marie-Ange SCHILTZ (CNRS), Lionel VALLET (Kiosque Info SIDA), le Centre Gay et
Lesbien, RadioFG, NovaMag.





SOMMAIRE:

I. INTRODUCTION 7

II. HISTORIQUE 9

III. OBJECTIFS
11
IV. METHODOLOGIE 13
1. LES INSTRUMENTS DE RECUEIL DE DONNEES 13
2. L’EQUIPE DE RECHERCHE 14
3. L’ACCES AU TERRAIN 15
4. LE RECUEIL DES DONNEES 16

V. LES SITES 17
1. PARIS 17
2. LILLE 17
3. LES EXTENSIONS 18

VI. MILIEUX, MOMENTS ET MODALITES DE CONSOMMATION 19
1. LE PUBLIC DES “ RAVES ” 19
2. LE PUBLIC DES DISCOTHEQUES 20
3. LES TRAVELLERS “ TRIBUS ” 21
4. LES MILIEUX GAY 22
5. LES SOUND SYSTEM 26
6) LES TECHNIVALS 27
7) LES FESTIVALS 28
8) L’AFTER 29

VII. LE RESEAU INTERNET 33
1. ECHANGES D’INFORMATIONS SUR LE RESEAU 33
2. LES SITES DROGUES ET ECSTASY 36
3. L’INTERNET ET LE MOUVEMENT "TECHNO " 40
4. LA “CYBER CULTURE” 43

VIII. DESCRIPTION DE LA POPULATION 465

IX. ZOOM SUR LES MILIEUX DE LA NUIT A PARIS 56
1. PRESENTATION DE L'ECHANTILLON 56
4. LES CONDITIONS DE PRISE DE L'ECSTASY 64
5. LES DIFFERENTS PROFILS RENCONTRES 72
6. LE REGARD DES CONSOMMATEURS SUR L'ECSTASY 75
7. LA SEXUALITE 78
8. LES MODES D'ACHAT ET DE VENTE 80
9. LE DEVENIR DES CONSOMMATIONS 81

X. L’ECSTASY : UNE DROGUE EN COURS DE DEFINITION 84
1. LA CONSOMMATION DE L’ECSTASY ET SES EFFETS 84
2. L’ECSTASY ET LES CONSOMMATIONS ASSOCIEES 88
3. LES DYNAMIQUES DE CONSOMMATION 91
4. LES PROBLEMES SANITAIRES ET SOCIAUX 97
5. LA SEXUALITE 99
6. LA DISTRIBUTION DES PRODUITS 100

XI. LA “ TECHNO ”, UN VASTE MOUVEMENT 103
1. LE MOUVEMENT " TECHNO " 103
2. LA CIRCULATION DE L’INFORMATION 104
3. LE ROLE DE LA MUSIQUE 106
4. DONNEES SUR L’ENVIRONNEMENT 107

XII. CONCLUSION 111

BIBLIOGRAPHIE 113





I. INTRODUCTION

La consommation d'ecstasy, en France, n'a pas encore fait l'objet de recherches
systématiques et son appréhension par les systèmes ordinaires de recueil de
données est globalement rudimentaire. L'ecstasy apparaît peu ou pas du tout dans
les enquêtes relatives aux toxicomanes demandeurs de soins ainsi que dans les
enquêtes menées auprès des lycéens (ACSJ et INSERM).
Il s'agit pourtant d'une consommation qui concerne manifestement un nombre
important de personnes, les jeunes notamment. Cette consommation s’est
rapidement popularisée en une dizaine d'années. Les “ rave-parties ” en sont un des
moments privilégiés, inscrivant cette consommation dans un rituel festif et de transe.
Le caractère illicite de ces consommations les situe dans le champ de la toxicomanie
bien que l'on sache peu de choses sur les conséquences à moyen terme de ces
pratiques en termes de dépendance, de complications sanitaires et sociales, de
consommations associées. La non inscription actuelle des usagers dans les circuits
médico-légaux de la toxicomanie rend indispensable une approche de ces
consommations par une méthode ethnographique, tout du moins dans un premier
temps. Nous présentons ici les résultats de notre recherche pilote. La présente
recherche a pour objectif principal la préparation d’un travail plus approfondi et ne
prétend ni explorer tous les aspects de cette consommation, ni répondre à toutes les
questions qui se posent au sujet de ces consommateurs et de ces consommations.





II. HISTORIQUE

L’ecstasy a été introduit en France aux environs de la moitié des années 1980 et
correspond à une nouvelle génération de psychotropes: produits de synthèse,
distribués sur le marché des drogues illicites et qui ne sont pas toujours inscrits sur
la liste des produits stupéfiants -les “ designer drugs ”.
L’ecstasy a d’abord été présenté en tant que produit psychotrope stimulant et
aphrodisiaque. Importé des Etats-Unis, il a été vendu sous diverses appellations et
présenté par la presse comme une “ pilule d’amour ”. En 1985, sa consommation
était réservée à un petit nombre de personnes, principalement dans les milieux
“ branchés ”, et “ de la nuit ”. Nous avons eu à connaître, à partir de 1988, un certain
nombre de personnes ayant mal supporté cette consommation et ayant développé
des états anxieux plus ou moins sévères et durables, comparables aux effets
secondaires parfois constatés avec le LSD dans les années 1970. Au début des
années 1990, la consommation de ce produit s’est nettement développée dans un
public beaucoup plus large et de plus en plus jeune. L’avènement de nouvelles
vogues musicales - House, Techno - a accompagné ce développement, en lien avec
les rave-parties, rassemblements d’un nombre parfois très important de jeunes et
d’adolescents. Ce mouvement culturel, à dimension européenne, s’est rapidement
intensifié à partir de 1993 où des rassemblements de plusieurs milliers de
personnes, en France, en Angleterre et en Allemagne, sont devenus courants.
Aujourd’hui, nous ne connaissons pas l’ampleur de ce phénomène qui reste mal
appréhendé par les enquêtes sanitaires ou policières ainsi que par les recherches
qui sont menées en milieu scolaire. Tout semble indiquer, cependant, que cette
consommation est de moins en moins confidentielle et qu’elle s’est installée dans
plusieurs milieux: 1) les jeunes (15 à 25 ans), dans le cadre des rave-parties; 2) un
milieu moins facilement définissable, en lien avec la consommation de psychotropes
en général et de cannabis plus particulièrement; 3) les milieux dits “ branchés ” et
“ de la nuit ”, où la consommation de drogues illicites telles que la cocaïne est déjà
bien implantée.





III. OBJECTIFS

Il s’agit ici d’une étude pilote dans la mesure où nos connaissances sont très limitées
et parcellaires. Cette étude pilote servira de base à l’élaboration d’un projet de
recherche plus élaboré et plus ciblé dans ce domaine.
L’étude a les objectifs principaux suivants: 1) décrire les modes de consommation
les plus habituels de ce produit; 2) identifier et décrire les consommations associées
(alcool, tabac, médicaments, autres drogues); 3) décrire le mode de vie des usagers
(obtention des informations, réseaux sociaux...); 4) identifier les principales
conséquences médico-légales de ces consommations ainsi que des consommations
associées; 5) proposer un type d’analyse ultérieur permettant de mieux connaître
l’ampleur actuelle de ce phénomène.
La réalisation d’une telle recherche, à la suite immédiate de cette étude exploratoire,
nous permettra de mieux connaître ces consommations et ces consommateurs.
Ceci, en retour, facilitera l’identification des actions de prévention réalisables dans ce
domaine.





IV. METHODOLOGIE

L’investigation ethnographique d’une consommation est toujours hautement
problématique, que cette dernière soit licite ou illicite. Pour l’ecstasy, la difficulté
centrale est celle de la reconnaissance d’une consommation non repérable à partir
de critères sociaux ou géographiques connus initialement: il s’agit d’une
consommation clandestine qui n’est pas liée, comme pour les autres drogues
illicites, à une identité sociale particulière (celle de toxicomane ou d’usager) ou à des
pratiques repérables (celles de la rue, par exemple). Il résulte de cette constatation
de départ une option méthodologique tout à fait précise : un travail exploratoire, sans
a priori méthodologique particulier pour ce qui concerne les outils de recueil de
données, et sans plan de travail défini à l’avance pour ce qui concerne les lieux ou
les secteurs d’investigation. Ce dernier point est important : nous avons eu toute
liberté d’explorer tel ou tel réseau social ; mais, en contrepartie, ce travail
exploratoire a été très exigeant en termes de temps. En pratique, ceci nous a permis
de ne pas limiter nos recherches à telle ou telle manifestation (les “ raves ” par
exemple) mais, au contraire, d’explorer des horizons sociaux très divers et souvent
difficilement accessibles.
La méthode utilisée est celle de l’observation participante. Cette méthode implique
l’embauche d’enquêteurs non systématiquement professionnels et leur formation. Un
dispositif d’observation a été mis en place qui nous a permis de collecter un
important matériel qualitatif (fiche d’observation, journal de bord, compte-rendu de
visite, entretien), ainsi que des données quantitatives (questionnaire). Par ailleurs, un
important matériel a été collecté sur le réseau Internet.
Deux sites principaux ont été explorés comme points de départ: Paris et Lille. Ce
dernier site a été envisagé en fonction de sa proximité avec la frontière belge. A
partir de ces deux sites, nous en avons exploré d’autres, notamment Bourges,
Belfort, Auxerre, ainsi qu’un certain nombre de manifestations telles l’Europride ou le
“ technival ” des Andelys.

1. Les instruments de recueil de données
Nous avons utilisé plusieurs instruments: 1) un questionnaire de taille réduite et le
plus simple possible; 2) des entretiens semi-directifs d’environ vingt minutes; 3) des
comptes-rendus de visites (une “ rave ”, un “ club ”, un événement tel que: festivals,
concerts...); 4) un “ journal de bord ” pour chaque enquêteur, ce document
permettant de rendre compte du déroulement du travail.
Le questionnaire: il est court, volontairement réduit à des items essentiels, (deux
pages) et comprend trois parties. Une partie réservée aux informations sociodémographiques: âge, sexe, nationalité, activité, niveau d’étude, domicile et situation
familiale. La deuxième partie du questionnaire traite des questions relatives à la
consommation de l’ecstasy et des autres produits associés: LSD, cannabis,
amphétamines... Il s’agit de la date de première consommation, de la fréquence
actuelle et du dernier épisode de consommation. Cette partie traite également des14
questions relatives aux contextes dans lesquels ont lieu ces consommations:
événements musicaux, clubs, consommation privée, musique écoutée. La troisième
partie du questionnaire a été réservée aux observations faites par les enquêteurs à
l’occasion de la passation du questionnaire.
L’entretien: il a pour objectif de recueillir des informations complémentaires sur les
sujets et sur leurs expériences, informations qui ne peuvent être réunies de façon
satisfaisante par voie de questionnaire. Le protocole d’entretien est construit de la
façon suivante: le fil directeur est celui d’un récit de vie, centré cependant sur les
consommations de produits psychotropes. Les sujets sont systématiquement
interrogés sur leur première consommation d’ecstasy et sur celle des autres
produits: dans quelles circonstances s’est passée cette première consommation, où,
comment, avec qui... L’entretien se poursuit sur l’évolution de cette consommation,
sur les consommations associées, sur le style de vie, sur le groupe avec lequel le
sujet partage cette consommation, sur la musique, le mouvement techno et, de
manière plus générale, sur le phénomène ecstasy. Nous abordons également la
question des effets recherchés et des effets obtenus. D’autres points sont abordés,
tels que la sexualité, les problèmes de santé ainsi que les éventuelles difficultés
sociales, professionnelles, familiales liées à la consommation de l’ecstasy et des
autres produits. Il s’achève sur l’exploration des domaines de compétence propres à
chaque personne (pharmacologie, organisation de “ rave ”, “ deal ”, musique...).
Le compte-rendu de visite: il a pour fonction la description d’événements et de
situations très diverses, toutes liées à la consommation d’ecstasy, sous une forme
standardisée. Il s’agit pour les enquêteurs de rendre compte, par exemple, d’une
visite dans une discothèque, d’un concert ou d’une “ rave ”. Cet outil comprend
quatre parties distinctes qui sont documentées par l’enquêteur: 1) description du site,
organisation, accueil...; 2) population: caractéristiques générales, estimation du
nombre, activités des personnes présentes (danse, consommations en cours
(boissons, produits...); 3) événements marquants, personnes rencontrées,
informations recueillies lors des discussions informelles...; 4) commentaires de
l’enquêteur.

2. L’équipe de recherche
Nous avons constitué deux équipes, l’une à Lille et l’autre à Paris. L’équipe de Lille
est constituée de deux enquêteurs qui sont supervisés par le correspondant
permanent de l’IREP à Lille. Cette équipe a travaillé essentiellement dans la
communauté urbaine de Lille. Elle a recueilli des informations sur les mouvements
transfrontaliers entre la Belgique et la région du Nord. Les deux enquêteurs ont une
solide expérience professionnelle et associative dans les secteurs socio-éducatif et
culturel. Ils connaissent très bien le réseau des discothèques locales et belges et le
mouvement techno.
L’équipe parisienne est constituée de trois personnes et de l’équipe permanente de
l’IREP. Une enquêtrice a été chargée d’explorer plus spécialement les milieux gay et
de la nuit à Paris. Une deuxième enquêtrice a exploré les réseaux de jeunes
intéressés par les fêtes (rave, free-party, festival...) et qui consomment de l’ecstasy.
Cet enquêtrice a essentiellement mené ses investigations à Paris. Elle a également15
effectué plusieurs déplacements (Bourges, Belfort, Auxerre), soit pour établir de
nouveaux contacts, soit pour assister sur place aux événements qui avaient lieu
dans ces localités. Le troisième enquêteur, intégré au mouvement techno,
s’intéresse à la population qui consomme de l’ecstasy depuis près de dix ans et a
mené plusieurs actions de prévention dans ce milieu. Il a mené ses investigations à
Paris et en province.

3. L’accès au terrain
L’exploration de la consommation d’ecstasy suppose d’établir des contacts avec
nombre de personnes impliquées à un titre ou à un autre dans ce mouvement, tels
des organisateurs de raves, des tenanciers de clubs ou de bars (ainsi que leurs
organisations professionnelles), des revendeurs d’ecstasy... Il s’agit donc d’établir
des contacts aussi bien avec des petits groupes qu’avec des individus isolés. Les
populations les plus difficiles d’accès à ce stade de l’enquête sont les jeunes de
banlieue, la population gay et les “ travelers ” (tribus nomades).
Les enquêteurs ont progressé dans l’exploration de cette population à partir, parfois,
de leurs propres connaissances. Dans son journal de bord, l’enquêtrice de Lille
décrit sa progression: “ Au début de ma recherche, j’ai trouvé les consommateurs de
deux manières. D’une part, j’ai sélectionné dans mes carnets d’adresses
personnelles et culturelles une liste de personnes dont je savais qu’ils avaient
consommé de l’ecstasy et j’ai établi une seconde liste de personnes susceptibles
d’en avoir consommé. ”
“ A chaque fois que je rencontrais une personne dans le cadre du questionnaire ou
de l’interview, je lui demandais si elle pouvait me mettre en relation avec un ou
plusieurs consommateurs. J’ai ainsi pu rencontrer assez facilement une vingtaine de
consommateurs dans mon réseau relationnel. Par la suite, j’ai sollicité à plusieurs
reprises certaines de mes connaissances qui étaient en relation avec des
consommateurs que je ne connaissais pas personnellement afin qu’elles me les
présentent. ”
“ Il est arrivé que certaines de mes relations passent de manière imprévue à mon
domicile. Si elles correspondaient au cadre de l’enquête, je leur proposais de
répondre à un questionnaire. Parfois, je croisais en ville ou dans une soirée une
personne que je connaissais et que je pensais avoir consommé de l’ecstasy, je lui
proposais alors de prendre un rendez-vous. ”
“ A chaque fois, j’expliquais dans quel cadre et pour qui je travaillais et dans quel
esprit était effectuée cette recherche, j’insistais également sur l’anonymat. Je sentais
que les consommateurs étaient sur leurs gardes et voulaient être rassurés quant à
l’utilisation de ce questionnaire. Par contre quelques consommateurs n’ont même
pas voulu savoir à quoi était destinée cette étude, ils étaient même prêts à donner
leur identité. ”
“ La plupart du temps, je recevais les consommateurs à mon domicile personnel et
bien souvent la discussion se prolongeait au delà du questionnaire, autour des
produits et de leurs effets. Je me suis rarement rendue chez les consommateurs,16
hormis chez deux mères de famille qui devaient garder leurs enfants. Toutes deux
ont veillé à ce que les enfants ne soient pas présents lors de l’entretien. ”
“ Il m’est aussi arrivé de rencontrer un groupe de quatre personnes que j’ai
questionnées individuellement dans un bar de la métropole. Je leur ai été présentée
par une de leurs connaissances que j’avais déjà questionnée. Cette personne, afin
de m’aider dans ma recherche à laquelle elle portait de l’intérêt, avait arrangé un
rendez-vous avec ces consommateurs qu’elle rencontrait régulièrement. J’ai
également rencontré un artiste plasticien dans son atelier. Parfois, il m’est arrivé
d’effectuer des questionnaires dans des soirées chez des amis ou de rencontrer
pour la première fois une personne me disant avoir consommé dans les trois
derniers mois, je fixais alors un rendez-vous. ”
Pour les enquêteurs, il a été plus facile d’observer, de décrire et même de discuter
avec les personnes que de proposer des questionnaires, notamment lors des fêtes.
Il s’est vite avéré que de tels contextes (“ raves ”, discothèques) ne se prêtaient pas
à la passation de questionnaires. A la fête des Andelys “ technival ”, l’enquêteur qui
a établi de nombreux contacts avec des personnes-clef rapporte dans son compterendu de visite : “ C’est grâce à tous ces liens que j’ai pu interviewer cinq personnes
par questionnaire, ce qui n’est pas très évident dans ce technival, lieu plus adapté
pour établir des liens que pour poser des questions... J’ai du attendre le dernier jour
pour trouver des gens un peu en descente et prêts à répondre aux questions. Par
ailleurs, on constate que la plupart des personnes rencontrées ont une bonne
connaissance des produits, de l’état du marché et de la gestion de ces produits. (...)
La simple vue d’un questionnaire évoque plus de parano que d’intérêt. Plusieurs ont
exprimé leurs doutes quant à l’utilisation de ces données. C’est pour cela , disent-ils,
qu’ils refusent de répondre, sans agressivité, mais quelque peu agacés. ”

4. Le recueil des données
Nous avons rassemblé 163 questionnaires, 24 entretiens et 13 comptes-rendus de
sites. La passation des questionnaires s’est souvent faite dans un domicile privé,
celui de l’enquêteur ou de l’enquêté. Parfois, elle a eu lieu dans des bars, des
discothèques ou dans le cadre de rave-parties. Enfin, certains questionnaires ont été
passés au cours des déplacements des enquêteurs vers tel ou tel rassemblement de
jeunes. Nous avions engagé, par ailleurs, une réflexion au sujet de la faisabilité
d’une estimation de prévalence. Une telle estimation, théoriquement réalisable selon
une méthode “ boule de neige ”, s’est avérée inenvisageable ici, à cette étape.





V. LES SITES

D’une façon globale, nous avons exploré deux sortes de sites : les clubs et les rave
parties. Ces deux sortes d’environnement sont des endroits privilégiés pour la prise
de contact avec des consommateurs d’ecstasy. Ils correspondent,
schématiquement, à deux populations différentes qui, pour une part, se chevauchent
également.

1. Paris
De nombreux lieux ont été explorés: certains quartiers comme le Forum des Halles
ou la Bastille, fréquentés par une population “ branchée ”, le quartier latin (étudiants)
ou le Marais (population gay). C’est dans ces quartiers qu’on trouve, en plus des
clubs, bars et discothèques, une forte implantation de disquaires, de libraires, de
cyber-cafés... Les jeunes s’y approvisionnent en disques et en compacts lasers. Ils
peuvent s’y procurer des flyers, des fanzines et toute une information relative au
mouvement techno, aux “ teufs ” (rave-parties, technivals).
Par ailleurs, certains lieux sont connus pour être des rendez-vous pour les jeunes qui
sont inscrits dans cette mouvance. Il s’agit du Forum des Halles, du parvis du centre
Beaubourg, de la fontaine Saint-Michel, de la porte de Vincennes et de la porte de la
Chapelle ... C’est dans ces endroits que l’on vient chercher les dernières
informations, s’assurer que la “ teuf ” prévue pour le jour est maintenue... C’est là
aussi que s’organisent les départs vers les “ teufs ”.

2. Lille
Il s’agit de l’agglomération Lilloise (Lille, Roubaix, Tourcoing) et, au delà, de
certaines discothèques situées sur le territoire belge, fréquentées par les jeunes de
la communauté urbaine de Lille.
D’une façon générale, la région est très influencée par tout ce qui se passe en
Belgique et en Hollande par rapport au mouvement techno, la musique et la
consommation des drogues. La presse et les radios locales suivent avec intérêt
l’évolution de ce mouvement. L’organisation de concerts et la création dans le
domaine de la musique électronique commencent à se développer dans
l’agglomération lilloise. Par exemple, la salle de spectacle lilloise du complexe
culturel qui se situe près de la gare S.N.C.F., a proposé récemment (29 et 30 mars
1997) une succession de “ mixes ” de Disc Jockey et des concerts de musique électronique.
A Lille les jeunes qui veulent sortir, notamment les week-end, ont le choix entre les
concerts, les discothèques locales et les dancing belges. Ils s’organisent en petits
groupes pour “ bouger ” ensemble. Parmi ces jeunes, de nombreux étudiants, Lille étant une ville universitaire.18

3. Les extensions
Nous avons exploré de nombreux autres sites, sans toujours procéder à un recueil
de données systématique. En banlieue parisienne, par exemple, nous avons établi
quelques contacts avec des jeunes consommateurs et consommateurs-revendeurs
de cannabis qui consomment et revendent parfois des ecstasy. Cette population
sera explorée dans un deuxième temps de la recherche. En dehors de la région
parisienne nous avons établi des contacts avec des groupes de jeunes à Auxerre et
ses environs.
Deux enquêteurs se sont déplacés les 19 et 20 Avril au Printemps de Bourges.
Parmi les nombreux événements proposés par l’organisation du Printemps, une
“ teuf autorisée ”. Elle a eu lieu sous un chapiteau, “ le stadium ” et a rassemblé plus
de cinq mille personnes. Elle était animée par une équipe de D.J connus. La
puissance de la sono est de 20 K. Notre équipe s’est également déplacée du 1er au
4 Mai 1997 dans l’Eure “ Andelys ” pour assister une technival.
Une enquêtrice, à Lille, a suivi la rave-party qui a eu lieu dans un blockhaus, situé
dans la forêt de Nieppe à cinquante kilomètres de Lille. Cette fête non déclarée a eu
lieu le samedi 26 Avril 1997. Le flyer qui a annoncé cette rave-party comportait le
numéro de téléphone d’une boîte vocale (une infoline). Ce numéro permettait de
connaître, le soir de la manifestation, le point de rendez-vous à partir duquel les
voitures allaient être guidées en cortège jusqu’à la fête. Cette petite rave a réuni
deux cents personnes et le prix de l’entrée était de trente francs.
Le dimanche 11 Mai 1997, de quatorze heures à minuit, une enquêtrice de Lille a
visité une discothèque située à Expiée en Belgique. C’est un club qui ouvre de huit
heures du matin à minuit et peut accueillir environ deux cent cinquante personnes.
Cette boite est spécialisée dans les “ Afters ”. Elle prend la relève des boîtes qui
ouvrent le vendredi et le samedi et qui ferment le dimanche. On y écoute de la
musique techno dite “ commerciale ”, le volume sonore est très élevé. L’entrée coûte
l’équivalent de cinquante francs français. Les boissons (sodas, bières et cafés) sont
vendus quinze francs et les smart drinks vingt-cinq francs.
Enfin, le 5 Juillet 1997, nous nous sommes rendus au festival de rock de Belfort “ les
Eurockéennes ”. Ce type d’événement est l’occasion de rencontres pour certains
groupes engagés dans le mouvement techno, plus particulièrement les “ travellers ”
et les groupes équipés en “ sound system ”.





VI. MILIEUX, MOMENTS ET MODALITES DE CONSOMMATION

Nous avons pris contact avec différents groupes du mouvement techno. Ces
groupes se réunissent pour faire la fête, écouter de la musique et danser, mais aussi
pour boire de l’alcool et consommer des drogues. A côté des discothèques et autres
clubs, il existe de nombreuses occasions pour faire la fête (rave, technival, freeparty...).
Ces groupes sont en fait très hétérogènes sur tous les plans. Chez les étudiants, par
exemple, il existe un vaste public issu de l’enseignement aussi bien public que privé.
Il s’agit des écoles supérieures spécialisées, des écoles de gestion, des ingénieurs,
mais aussi des universités... Dans beaucoup de ces établissements, s’organisent
différentes activités para-scolaires : sport, musique, loisirs, fêtes...
Depuis quatre ans environ les fêtes de type techno sont de plus en plus fréquentes.
Ces fêtes accueillent un public très large (étudiants et non étudiants). Elles sont
généralement annoncées par voie d’affiches. L’accès à ces fêtes est toujours
payant, environ cent francs en moyenne. Le fonctionnement de certaines de ces
fêtes est comparable à celui des raves organisées.

1. Le public des “ raves ”
Les moins de trente ans constituent la majorité du public des “ raves ”. Ils sont
étudiants, lycéens, jeunes débutant dans la vie active et parfois jeunes sans activité.
Ils forment des groupes plus ou moins importants qui “ bougent ” ensemble. Ils font
circuler entre eux l’information concernant les raves, s’organisent pour disposer de
leurs produits (cannabis, LSD, ecstasy...) à l’avance et pour résoudre certains
problèmes techniques, tel celui du transport. Les rave-parties attirent de plus en plus
un public très diversifié, incluant également des personnes âgées de plus de trente
ans. La plupart des raves sont organisées dans la clandestinité mais, depuis un an
ou deux, certaines raves sont autorisées. Au cours de cette recherche, nous avons
assisté à plusieurs raves. Certaines sont qualifiées de “ commerciales ”, d’autres
sont clandestines ou sauvages. Nous citons ici deux exemples de raves.
Rave à Melun Senart le 16 mai 1997
“ Cette rave a été organisée sans autorisation par un groupe de personnes que nous
n’avons pu rencontrer. Elle a eu dans les environs de Melun Senart, dans un
château en ruine du 12ème siècle. Le parc est magnifique, la salle de danse est un
peu petite pour contenir les quatre cents participants. Mais comme la pluie s’arrête
dans la nuit, nous passons le plus clair de notre temps dehors sur la terrasse tant
l’atmosphère est irrespirable à l’intérieur. ”
“ Nous avons pris contact avec de nombreux jeunes et, à la fin de la nuit, nous avons
proposé des questionnaires à de jeunes ravers avec qui nous avions sympathisé.20
D’autres ont refusé de répondre au questionnaire. Au cours des discussions que
nous avons eues avec ces jeunes, nous avons constaté que certains avaient une
vision très anodine de l’ecstasy. ”
Rave Dimension de Rungis le 10 Mai 1997
La rave “ Dimension ” a eu lieu dans un grand bâtiment de Rungis. Les
organisateurs n’ont visiblement rien négligé pour obtenir l’autorisation d’organiser
cette rave. Ils ont porté une attention particulière à tout ce qui concerne les
problèmes de sécurité sur le plan technique: issues de secours, service de sécurité,
premiers soins... Ils étaient prêts à se plier aux exigences de la commission de
sécurité qui voulait leur imposer de fixer les quelques milliers de chaises sur le sol.
Cette rave, qualifiée de rave commerciale, a eu lieu dans un bâtiment dont la
superficie est d’environ 8 000 m2. Ce bâtiment dispose de plusieurs sorties de
secours et est suffisamment équipé en sanitaires. Une ambulance de la Croix rouge,
une trentaine de secouristes et des infirmiers étaient présents sur les lieux. A
l’intérieur, cinq plateaux techno ont été prévus, dont un qui a été investi par un
groupe de percussions. Dans une salle, quelques stands (boissons, petits
commerces) ont été autorisés à s’installer. Le public était majoritairement issu de la
région parisienne et, selon les organisateurs, près d’un tiers des participants étaient
venus de province.
L’un des organisateurs, contacté à nouveau quinze jours après, a estimé que la rave
“ Dimension ” avait été un succès à tous les niveaux. Dix mille huit cents entrées ont
été enregistrées. Les problèmes de type sanitaire semblent avoir été peu nombreux.
Huit personnes ont été accueillies au poste de la Croix rouge pour des malaises et
une personne a été évacuée vers un hôpital pour “ excès ” de cocaïne.

2. Le public des discothèques
Le public des discothèques est très hétérogène. Pour pouvoir rentrer dans une
discothèque, les personnes doivent être des habituées, correspondre au “ look ” ou
avoir une tête qui revient au physionomiste. Les clients des discothèques sont
parfois des lycéens ou des étudiants, mais ils se recrutent surtout parmi les adultes
engagés dans la vie active qui sortent le week-end. Les clients des discothèques
sont d’abord des consommateurs d’alcool. Ils ne consomment pas
systématiquement de l’ecstasy, ou d’autres produits, mais ces derniers sont souvent
présents, consommés de façon généralement très discrète : cannabis, cocaïne,
héroïne... Parfois, les clients les consomment avant de venir en discothèque. Sinon,
ils sont achetés et consommés sur place ou dans les proches environs. Comme
convenu avec nos partenaires, nous respectons l’anonymat des lieux concernés.
Une discothèque parisienne
“ Le “ X ” est ouvert le dimanche après-midi à partir de quatorze heures. Il y un bar et
cinq caves au sous-sol. Dans l’ensemble cette discothèque est relativement mieux21
équipée que d’autres : une très bonne aération, banquettes et coussins confortables.
La décoration est de type seventies, la musique Techno et Dance. L’accueil est filtré
mais très correct. Le physionomiste à l’entrée semble connaître beaucoup de gens et
fait tout pour éviter les incidents, classiques à l’entrée des boîtes de nuit.
“ Une clientèle branchée et fréquentant les milieux de la fête. L’âge des clients va de
vingt à quarante ans. Mais la majorité a entre vingt et trente ans. La plupart sont en
train de danser. Certains dansent torse nu. Les plus fatigués ou ceux qui ne veulent
pas danser sont écroulés sur les banquettes. Ils sont difficiles à approcher et ont
beaucoup de réticences à s’exprimer sur leur consommation de drogues. Un homme
et deux femmes ont cependant accepté de répondre au questionnaire. Dans la
majorité des cas, ils sont sous effet d’alcool. Mais d’autres produits ont également
circulé et particulièrement la cocaïne. Les toilettes semblent être un lieu très
fréquenté. ”

3. Les travellers “ tribus ”
Les travellers mènent une vie de nomade. Ce sont des groupes de taille variable,
pouvant atteindre ou dépasser cent personnes (hommes, femmes, enfants). Ils vont
de fête en fête à travers les pays européens. En dehors de ces moments privilégiés,
ils s’installent pour un temps variable à la périphérie d’une ville comme le font les
gens du voyage ou chez des connaissances. Les tribus se forment au départ autour
d’une ou deux familles. Elles intègrent d’autres individus ou familles au fil des
rencontres et des voyages. Les regroupements se font autour de divers intérêts
matériels, mais aussi par affinités musicales ou idéologiques.
En France, on rencontre des tribus de travellers venus des autres pays européens,
particulièrement l’Angleterre, mais aussi de la Belgique, d’Allemagne et d’autres
pays. Certaines tribus sont composées d’hommes et de femmes originaires de
plusieurs pays. Les tribus nées en France sont parfois installées dans un squat à
partir duquel ils organisent leurs voyages. L’hiver, ils restent dans leurs squat et, au
début du printemps, ils commencent à bouger. Ils vivent généralement dans des
conditions précaires. La vie en communauté dans les tribus rappelle celle des
communautés hippies des années 70. Les tâches quotidiennes sont réparties à tour
de rôle, l’éducation des enfants, la cuisine, les courses ...
Une tribu
Nous avons rencontré le 5 et 6 Juillet 1997, lors de notre visite à Belfort, l’une de ces
tribus.
“ Cette tribu venait de Belgique et voulait aller au festival de théâtre de la rue de
Châlon pour gagner un peu d’argent en faisant quelques spectacles. Elle est
composée de neuf adultes (six hommes et trois femmes) et de cinq enfants en bas
âge. L’une des femmes est enceinte. Ils sont tous anglais à l’exception d’une femme
qui est allemande. Leur campement forme un U avec les camions, une bâche tendue
sur le dessus, et à côté, une botte de paille pour que les enfants puissent jouer. Un
groupe qui a un sound system s’est installé à côté des trois camions anglais22
“ La femme allemande explique qu’avant de rejoindre cette tribu, elle avait déjà été
mariée avec un anglais qui était resté avec ses deux premiers enfants en Angleterre.
Elle en avait eu assez de cueillir des pommes, alors elle est partie... Mais en
Angleterre, il n'y a pas de couverture sociale, elle s'est donc vite retrouvée à la rue.
Elle est donc partie dans la forêt, vivre avec des amis dans un camion, et c'est à
partir de ce moment là qu'elle a connu son deuxième compagnon avec qui elle a eu
deux enfants. Ils vivaient tous les quatre dans un camion. En ce moment, ils
hébergent un ami qui ne sait pas quoi faire, alors ils lui ont proposé de faire un bout
de chemin avec eux. ”
“ Enfin, elle dit que d’autres tribus vont venir à Belfort. Mais que les travellers ne sont
pas bien vus et plus particulièrement les travellers anglais. Les organisateurs, le
service d’ordre et la gendarmerie ne comprennent pas par exemple que les travellers
aient besoin de rester plusieurs jours sur le site pour faire la lessive et s’occuper des
enfants. ”
“ Les deux intervenants en toxicomanie présents au festival (pour un travail de
prévention) expliquent que la hantise principale des organisateurs c’est les travellers,
avec leur mode de vie : ‘on sait quand ils arrivent, mais jamais quand ils partent’. De
plus, avec la musique techno, ils gênaient le public qui venait pour le festival et pour
écouter une autre musique. Pour leur compliquer la vie, les organisateurs ont pris la
résolution de faire payer le camping trente francs, si les personnes ne présentent
pas de billet de concert. ”
“ On raconte que la gendarmerie a mis un dispositif sur la route pour stopper l'arrivée
des camions anglais. La gendarmerie a besoin de trouver une infraction pour pouvoir
les arrêter, et c'est donc pour détention de produits qu'ils espèrent les
appréhender. ”

4. Les milieux gay
Il nous a semblé utile d’explorer les milieux de la nuit à Paris et notamment le milieu
“ gay ”, lequel ne représente qu’une petite partie de la communauté homosexuelle et
est composé d’une population très diversifiée de jeunes adultes, généralement bien
insérés dans la vie active. Nous avons pris contact, pour ce faire, avec un certain
nombre de personnes susceptibles de nous faciliter l’accès à ces groupes et nous
nous sommes également adressés au Syndicat national des entreprises gay
(SNEG). Leur président, Monsieur BOUSSET, a accueilli de façon très bienveillante
notre démarche et nous introduits auprès de gérants et de responsables de certains
bars et discothèques parisiens. Ce syndicat, depuis plusieurs années, s’était investi
dans des actions de prévention du SIDA (distribution de préservatifs, édition de
brochures, actions de sensibilisation...) et ressentait vivement le phénomène de la
“ drogue ” comme une double menace : menace de type sanitaire et social, en lien
avec le SIDA ; menace de type commercial avec le risque de fermeture de certains
établissements suspectés d’être des lieux d’usage et de revente. Plusieurs
établissements avaient déjà été inquiétés (le Palace, le Queen en particulier) et
d’autres pouvaient l’être. C’est la raison pour laquelle le SNEG, au moment de nos
premiers contacts, avait déjà initié un certain nombre de campagnes préventives et23
s’était adressé aux ministères concernés, ceci sans obtenir le soutien escompté. Ces
inquiétudes se sont trouvées matérialisées en septembre 97, par la fermeture
administrative de cinq établissements de nuit (l’Enfer, le Cox, le Queen, le Folies
Pigalle et le Scorpio).
Notre travail, qui s’est réalisé avant la fermeture de ces établissements, s’est trouvé
également facilité par nombre d’associations de prévention du SIDA, notamment le
Kiosque Info SIDA et le Centre Gay et Lesbien. Il a également bénéficié de
l’organisation, en juin 97, de l’Europride à Paris, événement qui a mobilisé un
nombre important de personnes durant toute une semaine. Les rencontres ont eu
lieu dans des établissements publics (bars, discothèques...), dans certaines
structures associatives (l’Eurocentre mis en place par le Kiosque Info SIDA et le
Centre Gay et Lesbien, dans le Marais) et également pendant la marche des gay et
lesbiennes. Cet événement a rassemblé, le 28 Juin 1997, des milliers de personnes
(deux cents à trois cent mille selon les organisateurs) venus de toute la France et
des autres pays européens.
Le travail d’enquête lui-même a été très éprouvant pour la personne qui en a été
chargée. Pour une grande part, le travail s’est fait la nuit, dans des clubs, des bars et
des discothèques. Le recueil de données (questionnaires et entretiens) s’est le plus
souvent déroulé dans la journée, sur la base de rendez-vous. Un très important
matériel a été rassemblé et est encore en cours d’analyse. Au total, quarante
personnes (70% d’hommes et 30 % de femmes) ont été sollicitées pour répondre au
questionnaire, toutes ayant déclaré consommer ou avoir consommé de l’ecstasy. Ce
groupe représente le quart de notre échantillon. Il ne présente que peu de
différences avec l’échantillon total. Les sujets sont salariés dans 53% des cas et
pour 58% d’entre eux ont fait des études supérieures, 88% ont un domicile stable.
Dans 78% des cas, Ils ont déclaré avoir consommé des drogues dans les clubs
(56% pour l’échantillon global). Ils sont 43% à avoir consommé de l’ecstasy ou
d’autres produits dans des raves (6O% pour l’échantillon global).
Ce premier travail confirme que la consommation d’alcool et de drogues dans ce
milieu est importante et ancienne. L’alcool y a cependant une place prépondérante
et nombre de sujets rencontrés font état de leur inquiétude face à une
consommation vue comme mal contrôlée et invalidante. La consommation des
autres produits, dont l’ecstasy, est également vue en lien avec le SIDA en tant que
maladie. Pour certains, malades déclarés, de telles consommations sont ce qui
permet de “ tenir debout ”. La consommation d’ecstasy, quant à elle, semble
remonter au milieu des années 80, avec l’adoption de la musique techno.
Rave party “GAYA-CHINAGORA ”, le samedi 28 juin 1997 (Europride)
Plusieurs manifestations ont eu lieu pendant la marche gay et lesbienne
“ Europride ”. Notre équipe a assisté à certaines d’entre elles.
“ Dans la nuit du 28 au 29 Juin, nous nous sommes rendu à la rave-party qui a eu
lieu à “ CHINAGORA ” en banlieue parisienne. Il a fallu passer par la place de la
Nation où un jeune distribue à la sauvette un petit papier expliquant l’itinéraire
conduisant jusqu’au lieu de la rave. ”24
“ Sur place, vers minuit, il n’y avait pas encore beaucoup de monde. La foule est
arrivée progressivement un peu plus tard. A l’entrée, la fouille est quasi inexistante,
le videur n’intervient que rarement. A gauche et à côté d’un stand de bijoux indiens,
le stand de Techno Plus, tenu par trois personnes. Des boissons survitaminées au
guarana y sont vendues au prix de dix francs. Des coupelles pleines de fruits secs
sont à la disposition des raveurs ainsi que des verres d’eau. ”
“ En face et au fond, il y a le plateau musical avec plusieurs DJ. La salle est
organisée pour qu’il y ait un dédale qui rende possible de multiples passages et un
brassage de population. Les organisateurs de fêtes prévoient souvent des espaces
qui permettent aux gens de bien circuler et de bouger. Il semble que les sujets sous
ecstasy aient un grand besoin de se dépenser et de bouger. Le décor est assez
différent de ce que l’on trouve habituellement dans les établissements gay. Des
genres de filets de l’armée tapissent le plafond et les murs. Des lumières
“ psychédéliques ” éclairent certains pans de murs. ”
“ La population est très diversifiée, tous les âges sont représentés, on ne voit pas de
très jeunes mais, en revanche, les gens de quarante ans ne sont pas rares.
Beaucoup sont habillés pour la circonstance : vêtements lâches, vêtements indiens...
On a besoin d’être à l’aise pour danser, disent-ils. ”
“ Le deal d’ecstasy, de LSD, d’herbe est ici visible, contrairement à ce qui se passe
dans les boîtes où il est beaucoup plus discret... Les billets de cent et de deux cents
francs circulent. Les ecstasy sont ouvertement proposés et se négocient entre cent
et deux cents francs. Les trips de cinquante à cent francs. D’autres produits sont
également disponibles, l’héroïne pour ceux qui cherchent une descente en douceur
ou de la cocaïne, pour ceux qui veulent faire remonter les sensations. Tout autour de
la pièce, des gens sont assis par terre en train de se faire des joints d’herbe ou de
shit. Certains disent que fumer de l’herbe fait remonter l’ecstasy, mais fumer du shit
endort davantage... ”
“ A un moment donné, je m’accroupis auprès d’un homme d’âge mûr assis dos au
mur, la tête entre les jambes, il porte une casquette. Je lui demande si ça va... il me
dit que je lui ai coupé son voyage. Je lui demande s’il a gobé ; il me dit que ça faisait
six mois qu’il n’avait rien pris, que là avec la musique et l’ecsta il était parti dans sa
tête, il m’explique que sous ecsta le corps ne doit pas forcément bouger, qu’il suffit
que la tête bouge. Il reprendra un ecsta après pour danser. Je discute assez
longtemps avec lui. Il a gobé pendant six ans, travaillait dans le milieu des raves, en
faisait la déco. Il dit que ça détruit la tête. Quand je lui demande dans quel sens, il
me dit : “ dépression ”. Il me dit que la majorité des gens achètent les produits sur
place puis il se lève et me laisse “ j’ai peur que tu soies un flic. ”
Etablissements pour hommes
(Jeudi 24 Avril 1997)25
“ J. dit qu’une fois il a avalé douze ecstasy pour se suicider. Il dit que d’habitude, il en
prend un. Comme son cœur palpite habituellement avec un seul ecstasy, il pensait
qu’il allait complètement lâcher sous la pression des douze. Son ami l’a amené à
l’hôpital. Les médecins ne savaient pas quoi faire. Au bout de 48 heures, il s’en est
sorti, sans séquelles me certifie-t-il. Durant une semaine, il hallucinait et les
cauchemars hantaient son sommeil. ”
“ G. est un ancien consommateur. Il a arrêté de prendre des ecstas à cause de la
détérioration de la qualité. J. quant à lui, plus jeune, dit qu’il aime prendre des
ecstas, que ça lui réussit bien, mais qu’il n’en prend que lorsqu’il sort pour faire la
fête. Ce soir, tous les deux me disent qu’ils n’en ont pas pris, que quand on en
prend, ça se voit, que les ecstasiés ne peuvent calmement tenir une conversation. ”
(Dimanche 27 Avril 1997)
“ H. avec qui j’ai beaucoup discuté, me parle de son expérience de l’ecstasy, en
province, où il était un DJ très connu et grand consommateur. Il dit que l’ecsta lui a
fait tout perdre. Il fait partie de toute une frange d’ex-consommateurs d’ecstasy qui
ont arrêté leur consommation parce qu’ils la considéraient abusive, néfaste ou parce
que la qualité des produits en vente a énormément diminué. ”
(Vendredi 27 Juin 1997)
“ Une piste de danse très grande ou de nombreux hommes dansent torse nu ou
juste avec un débardeur. A côté et à hauteur, il y a des espaces où l’on peut
s’asseoir, boire et discuter. Mais, il y a des gens qui y dansent aussi. La
consommation des produits est évidente. Mais tout se fait discrètement, qu’il s’agisse
de consommation ou de transactions. ”
“ En sortant, j’ai eu une discussion avec le videur de la boîte qui a duré une heure. Il
m’a proposé de revenir une autre fois et il me présentera des jeunes qu’il connaît et
qui consomment. Pendant cette discussion, il y a eu beaucoup d’entrées et de
sorties de jeunes. En fait, une partie importante des jeunes aiment aller de boîte en
boîte. Celle-ci est l’une des plus appréciée par les consommateurs d’ecstasy. La
consommation des produits se fait en grande partie à l’extérieur. ”
Etablissements pour femmes
(Jeudi 29 Mai 1997)
“ C’est un jeudi et le bar est presque vide, contrairement au vendredi et au samedi dit
la patronne. Cette dernière me présente P. qui veut bien participer à l’étude. Elle
raconte qu’à une certaine époque, il y avait une grosse dealeuse et plusieurs
rabatteuses qui opéraient dans son établissement. Les rabatteuses dansaient
complètement ecstasiées. Les éventuelles clientes leur demandaient où elles
pouvaient en trouver et les rabatteuses allaient chercher auprès de la dealeuse. ”26
((Vendredi 27 Juin 1997)
“ A l’intérieur, femmes seules en couples ou en groupes représentant toutes les
tranches d’âges à partir de 18 ans. En entrant à droite il y a le bar en longueur où
trois serveuses travaillent. A gauche un large espace parsemé de tables et de
chaises. En face, un large espace réservé à la danse. Il est entouré sur les côtés par
des lieux de repos : banquettes, chaises... La musique techno est dominante. ”
“ Selon les informations que nous avons eu ce lieu a connu dans le passé des
époques de deal et de consommation intenses d’ecstasy. Ca s’est considérablement
calmé ces derniers temps. Ici, l’ambiance est différente de ce qu’on peut constater
dans les boîtes d’hommes. Les femmes sont beaucoup moins expansives que les
hommes et parlent beaucoup plus entre elles que les hommes et dansent avec
moins d’excitation et d’entrain. Il y a très peu de femmes avachies ou défoncées. O.
pense qu’il n’y a pas beaucoup d’ecstasy qui circule dans cette boîte. Mais le DJ
avec lequel il discute pense le contraire. M. m’explique qu’elle est inquiète car une
de ses amies qui voulait un ecsta et qui est partie en chercher n’est toujours pas de
retour. ”

5. Les sound system
Un sound system se forme autour d’un petit groupe de cinq personnes environ ayant
de bonnes connaissances techniques (électronique, son ...). Le groupe, qui a pour
raison d’être l’animation de fêtes, peut atteindre et dépasser vingt personnes. Le
sound system est équipé pour fonctionner de manière autonome à peu près
n’importe où. Il possède obligatoirement un matériel professionnel pour diffuser de la
musique (disques, micros, platines...). Il est doté d’un groupe électrogène et peut se
brancher sur une prise d’électricité. Il dispose de camions et de bus capables de
transporter les personnes et un matériel relativement lourd. Le matériel est très
coûteux et demande de gros investissements que n’ont pas toujours les équipes qui
se lancent dans cette entreprise. Les équipes de sound system sont dans certains
cas propriétaires de l’ensemble du matériel. Mais, dans la plupart des cas, il ne sont
propriétaires que d’une partie de ce matériel. Pour le reste, les équipes de sound
system ont souvent recours à la location (camions).
Un sound system doit être capable d’animer à lui seul une fête (une free-party). Ce
sont des fêtes qui ont surtout une dimension locale ou régionale. Certains sound
system se sont faits un nom dans le milieu, par exemple LSDF ou UFO. Un sound
system qui organise une free-party peut inviter un ou deux autres sound system pour
l’aider à animer la fête. Dans ce cas, les deux ou trois sound system présents
animent la fête à tour de rôle. L’entrée à une free-party est gratuite. Cependant,
dans la pratique, les groupes qui organisent les free-parties demandent aux
personnes présentes de participer aux frais et/ou à l’organisation.
Les groupes de sound system qui organisent les fêtes choisissent de préférence des
lieux couverts (hangars, entrepôts). Mais ces free-parties ont parfois lieu dans des27
propriétés privées (château, terrain privé). Ces petites fêtes peuvent être organisées
toute l’année, été comme hiver. Une autre particularité est que ces fêtes rassemblent
un nombre de personnes réduit, entre cent et cinq cents personnes, rarement plus,
ce qui en facilite l’organisation.
Un Sound system à Belfort.
“ Le groupe qui a le sound system est composé de trois femmes et de sept hommes.
Ils sont tous originaires de Paris. Ils se sont lancé depuis peu dans l’organisation des
“ free-party ”. Ils ont commencé d’abord à travailler en Ile-de-France avant d’aller en
province. Ils sont mécontents du déroulement du festival de Belfort, car ils ont eu
l'interdiction de mettre du son. Lorsque la sono a été installée et qu'ils ont commencé
à mixer, l'hélicoptère de la gendarmerie a atterri. Ils se sont dirigés dans un premier
temps vers les anglais, puis vers leur campement. Ils leur ont demandé de démonter
leur installation pour aller sur le camping, ce qu'ils firent, mais avec un peu de dégoût
car ils étaient là pour “ mettre de l'ambiance ”... Une des personnes du sound-system
a consommé un trip “ dragon ”. Il me disait qu'il avait l'habitude d'en consommer tout
au long de l'année, mais que celui-là était vraiment fort et rendait agressif et
parano. ”

6) Les technivals
Les technivals sont des rassemblements généralement organisés entre les mois de
mai et de septembre, rarement l’hiver. Les fêtes “ technival ” durent plusieurs jours,
entre deux jours et une semaine. Les technivals ont une dimension nationale. Si une
technival a lieu, par exemple, dans les environs de Bayonne, les amateurs peuvent
se procurer les plans d’accès à Paris ou à Lille.
Les technivals sont animés par plusieurs sound system. Ces derniers s’installent
autour du terrain investi. Chacun des groupes de sound system est spécialisé dans
un courant musical particulier. Les organisateurs prévoient également des stands
pour les boissons et la restauration. C’est là leur principal ressource en argent.
L’entrée à un technival est gratuite et les organisateurs ou animateurs de technivals
ne demandent pas au public une participation ou une donation. Un coin camping est
toujours prévu par l’équipe qui a eu l’initiative d’organiser un technival.
Le nombre de personnes qui passent dans une technival est très important, entre
mille et dix mille, parfois plus. Certaines personnes y passent seulement quelques
heures ou une nuit, par exemple le samedi soir. D’autres personnes restent le weekend. Elles arrivent le samedi soir et repartent le lundi matin. D’autres arrivent au tout
début et repartent à la clôture.
Les technivals ont souvent lieu dans des endroits retirés, souvent des zones rurales,
et attirent parfois en plus du public habituel, un public de curieux. Il s’agit d’abord des
jeunes des villages environnants, mais parfois aussi des promeneurs isolés ou en
famille...28
Du 1er au 4 mai - Technival - Les Andelys (Eure)
“ Cette fête s’est passée au bord d’un petit lac, dans une sorte de grand campement,
qui se situe à la sortie d’un petit village. Le terrain est un peu vallonné. Il est
partiellement couvert de bois. Il s’étale sur plus d’un kilomètre de long et environ cinq
cents mètres de large. Il s’agit d’une carrière d’extraction de sable et de gravier,
investie pour cette occasion à la fois par des travellers et des raveurs. ”
“ L’accès a cet endroit est très facile. Lorsqu’on est sur les lieux, on voit de gros
camions appartenant à des groupes de sound system. Ils se sont installés tout
autour du campement. Il s’agit de sept sound system voyageurs et d’une dizaine
d’autres de moindre importance. Plusieurs stands de boissons, de nourriture, de
vêtements, de musique, de piercing ou de tatouage se sont montés. Le stand de
testing qui s’est installé parmi les autres était très sollicité : demandes d’information
et testing de produits. Le stand Techno Plus sert aussi de lieu de repos et de
premiers secours. Plusieurs personnes ont reçu divers soins pour des blessures ou
des bad-trips. Une personne qui saignait de l’oreille et du visage après une chute
consécutive à une crise d’épilepsie a été évacuée. ”
“ Les raveurs ont installé leurs abris et leurs voitures tout en se regroupant par
affinités. La plupart des gens qui sont là sont des connaisseurs de raves. Ils se sont
organisés pour avoir une certaine autonomie, vivre quelques jours en groupe. Ils
semblent plus jeunes, la moyenne d’âge doit se situer entre vingt cinq et trente ans.
Le look n’est pas celui des raves commerciales, mais plutôt celui des gens qui vivent
dans la nature. Beaucoup de piercing et de tatouages sur le corps. Ils sont nombreux
à porter de grosses chaussures, treillis et autres vêtements branchés, mais solides.
Peu de frime. ”
“ D’après la police, cinq à six mille personnes. Mais les gens qui étaient sur place
disent que plus de dix mille personnes ont assisté à cette fête. A l’entrée comme à la
sortie, les C.R.S. et les douanes contrôlent les jeunes et parfois les fouillent. ”
“ Capacité des gens à s’auto-organiser. Ceci, malgré l’absence de signaux et de
véritables organisateurs. Par exemple, les gens garent leurs véhicules en laissant un
passage, surveillant les feux, prennent soin des enfants, prennent soin des blessés
ou de ceux qui vont mal. Tout cela malgré une importante consommation de drogues
diverses et variées. Nous n’avons constaté que très peu d’incidents, d’accidents, de
bagarres ou de malaises par rapport à la densité de population. L’ambiance d’une
technival est très particulière, des milliers de personnes arrivent, s’installent ou
seulement passent quelques heures et s’en vont. Ce n’est pas non plus l’ambiance
joyeuse et légère qu’on voit dans les autres raves plus organisées. Ici, les gens
s’installent pour camper plusieurs jours, ramassent du bois, installent leur
campement. ”

7) Les festivals
L’interdiction d’organiser les fêtes techno qu’il s’agisse de rave, de free-party ou de
technival, a amené les organisateurs de ces événements à développer des ruses.29
Ces derniers ont commencé depuis cinq ans environ à utiliser d’autres événements
existant pour y greffer des fêtes technos. Les festivals de musique sont tout
spécialement investis (rock, jazz...). Certains organisateurs saisissent donc ces
occasions pour organiser au même moment et au même endroit une rave-party. Ils
profitent ainsi de l’organisation et de la logistique du festival (sécurité, prévention,
transport...).
19 avril - Printemps de Bourges - Rave Hexagone
“ Le festival du Printemps de Bourges rassemble tous les ans des milliers de jeunes.
C’est un festival de musique qui réunit des groupes connus et des groupes
débutants. C’est un festival où se rencontrent plusieurs styles de musique, mais la
musique rock reste dominante. Plusieurs groupes étrangers sont invités chaque
année. Ces groupes se produisent dans les différentes salles de la ville. Certains
groupes se produisent en plein air. L’accès est payant pour certaines
représentations et gratuit pour d’autres. ”
“ En 1995 et en 1996 , il y eu des tentatives d’organisation de raves, elles ont
échoué. Les personnes qui avaient acheté leur pré-ventes à Paris ont finalement été
admises dans une discothèque de la ville. En 1997, les organisateurs du Printemps
de Bourges ont inclu pour la première fois une rave-party dans leur programme. Un
grand chapiteau a été installé dans la ville. Environ sept mille personnes ont
participé à cette rave. Cette rave était animée par des DJ internationnalement
connus (KARL KOX). La puissance : vingt kilowatts. ”
“ Lors du voyage en train pour aller à Bourges, dans une joyeuse ambiance de gens
qui partent pour faire la fête, je fais une série d’interviews, car je rencontre pas mal
de têtes que j’ai déjà vues dans des raves (cinq personnes). Le lendemain, je ferai
deux autres interviews dans une free-party pas loin de Bourges. ”

8) L’after
L’after est le nom donné à ce dispositif qui prolonge la fête. Il commence au petit
matin et prend la relève des clubs de nuit et des raves. Certaines discothèques
ouvrent le jour à cet effet. Mais l’after peut être organisé en privé par un groupe
d’amis auquel se joignent d’autres personnes rencontrées dans une rave ou une
discothèque. Certains afters sont improvisés par un groupe de personnes et peuvent
se dérouler dans des lieux couverts ou en plein air lorsqu’il fait beau. Il correspond à
un besoin et à un moment par rapport aux effets des produits et à la fatigue. Au
moment de la descente, les effets des produits s’estompent et se transforment. A
l’euphorie et à la transe succèdent des sentiments de tristesse, d’insécurité et
d’inquiétude, parfois des états de confusion où le sujet ne sait plus où il se trouve et
ce qu’il a fait. Les sujets ont donc besoin de se retrouver dans un endroit où la fête
continue, où ils se sentiront entourés. Ce besoin est d’autant plus important que
beaucoup de 0consommateurs d’ecstasy et d’autres produits n’ont pas envie d’aller
se coucher, ne peuvent rentrer chez eux et, en même temps, souffrent de fatigue,
d’inconfort, d’angoisses...30
L’after dans une discothèque située à la frontière Franco-Belge
“ Nous avons rendu visite le 11 Mai 1997 de quatorze heures à minuit à une
discothèque belge située à Espierre à trente cinq kilomètres de Lille. Ce club belge
peut accueillir deux cent cinquante personnes. Il est ouvert le dimanche uniquement,
de huit heures du matin à minuit. C’est une boîte d’“ after ”, c’est à dire qu’elle prend
le relais des discothèques ayant ouvert le vendredi et le samedi et fermant le
dimanche matin. ”
“ La discothèque se trouve au rez-de-chaussée d’une maison individuelle. Derrière la
maison se trouve un grand parking gardé en permanence par un membre de la
sécurité. Le prix d’entrée est de cinquante francs. L’accueil se fait dans un sas où se
trouvent également les vestiaires gratuits. Il n’y a pas de fouille à l’entrée, un cachet
est tamponné sur le poignet pour permettre de sortir et d’entrer. Chaque sortie est
payante cinq francs, ceci afin d’éviter que trop de gens aillent dans les voitures sur le
parking. Deux membres de la sécurité restent dans le sas d’entrée et tournent
régulièrement dans la boîte. ”
“ Derrière, le sas, se trouve une grande pièce d’environ six mètres de long sur quinze
mètres de large et d’une hauteur de trois mètres. Les murs sont décorés par des
espèces de filets de pêcheur en coton de couleur foncée, il y a aussi quelques
reproductions de planètes accrochées aux murs. De nombreux éclairages sont
répartis dans la pièce, les lumières sont mobiles et colorées. Il y a également un
stroboscope et une machine à fumée utilisés à plusieurs reprises dans la soirée. ”
“ A l’entrée de la salle se trouve une rangée de fauteuils face à une petite piste de
danse. Puis il y a la cabine du DJ qui est bien en vue. Enfin, le bar où différentes
boissons sont disponibles : sodas, bières, cafés sont vendus quinze francs, les smart
drinks : vingt-cinq francs. L’eau est gratuite, aucune restauration n’est proposée.
Quelques marches amènent à une piste de danse équipée d’une petite estrade et
animée par des jeux de lumière. Les murs face à la piste sont recouverts de miroirs.
Au fond de la salle, derrière la piste, on trouve un coin-canapés peu éclairé. ”
“ Les toilettes sont gratuites et non surveillées. La discothèque est peu aérée,
enfumée, il y fait chaud et l’atmosphère est assez moite. On y écoute de la Techno
assez commerciale, le volume sonore est assez élevé, il faut se parler à l’oreille ou
sortir. La population est âgée de vingt à cinquante ans et vient à la fois de la
Belgique et de France, en voiture. Il s’agit de petits groupes de personnes qui sortent
des clubs situés des deux côtés de la frontière Franco-Belge. Ces groupes sont
composés d’hommes et de femmes qui se connaissent et qui ont commencé à faire
la fête le vendredi ou le samedi. Certains partent de chez eux le vendredi soir pour
faire la tournée des boîtes. Ils vont donc de discothèque en discothèque. Ils se
nourrissent peu, se lavent et se rasent dans les stations service. D’autres font des
pauses chez eux ou chez des amis pour se nourrir, dormir, récupérer et repartir. ”
“ Le dimanche matin dans l’after, la plupart d’entre eux ont les traits tirés et le visage
fatigué. Ils consomment du café ou des smart drinks, ils fument du cannabis. Ils31
dansent ou restent assis pour écouter la musique. Certains ont dit qu’ils comptaient
poursuivre leur tournée et se rendre dans un autre club belge ouvert le lundi.
Certaines personnes cherchent à reconsommer du speed, de la coke ou de l’ecstasy
pour tenir. ”
“ D’autres sont reposés et en excellente forme. Parmi ces derniers, certaines
personnes ne sont pas sorties le week-end. Ils sont plus jeunes et pour certains
l’after est l’unique sortie. La majorité des personnes présentes, à peu près deux
cents ce jour là, semblent se connaître. Il n’y avait pas beaucoup de couples mais
plutôt des groupes d’amis communiquant avec d’autres groupes. Les gens passent
des fauteuils au bar, du bar à la piste de danse. Ils restent entre eux à discuter et à
écouter la musique. ”
“ En fonction de la musique, il arrive que les danseurs et les personnes présentes
crient ou sifflent ensemble. Leurs visages sont souriants, certaines personnes se
rapprochent, se prennent par les mains, s’enlacent... Ces contacts n’ont rien de
sexuel mais illustrent plutôt le plaisir à ressentir et à vivre ensemble la musique. Les
looks sont assez simples, les gens sont habillés mode. ”
“ Nous avons repéré ce jour là deux dealers âgés de vingt-cinq ans environ qui
fournissaient les clients de la discothèque en cannabis, cocaïne, speed et ecstasy.
L’ecstasy se vend cinquante francs l’unité, le speed quatre-vingt francs le gramme.
Pour se procurer un produit, il est possible, si l’on n’a pas identifié les dealers, de
demander à un client qui semble sous l’effet de la drogue où il se l’est procurée. Il
est souvent facile d’obtenir une réponse et de se faire désigner le revendeur. Les
transactions se font discrètement à l’intérieur de la boîte, dans les toilettes ou à
l’extérieur sur le parking. Nous avons pu observer des échanges d’argent et de
produits. Des personnes sortent et vont consommer dans les voitures du cannabis,
du speed, de la cocaïne. ”
“ Dans les toilettes, il n’est pas rare de voir sortir deux personnes de la même cabine
s’étant réunies là pour sniffer de la cocaïne ou du speed. De temps en temps un
membre de la sécurité intervient lorsqu’il y a beaucoup de monde dans le couloir des
toilettes. Il invite les personnes à ne pas passer trop de temps enfermé a l’intérieur. ”
“ Tout le monde semble se connaître et faire la fête ensemble. Les personnes
circulent dans le lieu et consomment ensembles les différents produits disponibles.
L’ambiance est sereine, positive, si quelqu’un fume un joint, il arrive qu’il le passe à
son voisin. Normalement, il est interdit de fumer du cannabis à l’intérieur, cependant,
les membres de la sécurité ferment plus ou moins les yeux sur cette
consommation. ”
“ Par ailleurs, il est interdit de dormir dans la boîte, les membres de la sécurité
réveillent les clients fatigués et les font sortir. Ils ne pourront revenir dans la
discothèque que s’ils se sentent plus en forme. Nous n’avons constaté dans cet
établissement aucune scène de violence et aucun malaise qui aurait pu être lié à la
consommation de drogues, pourtant très visible sur place. ”
Du point de vue de la consommation des drogues, ce moment de l’after est d’une
importance cruciale. Il correspond, pour beaucoup, à une consommation secondaire32
de produits : afin d’atténuer les effets de la “ descente ”, de se calmer ou de
continuer à tenir le coup, nombre de produits seront consommés dans un deuxième
temps: cannabis, héroïne, cocaïne, amphétamines, médicaments...





VII. LE RESEAU INTERNET

L’Internet est un système d’échange d'informations numérisées qui repose sur
l'interconnexion mondiale de plusieurs millions d'ordinateurs. Cet outil permet à tout
utilisateur d'ordinateur connecté d’accéder à des informations multimédia,
instantanément ou presque, en allant d'un site à l'autre, de télé charger des
données numériques, d'envoyer du courrier électronique à destination d'autres
utilisateurs. Outre ces principales fonctions, l'interconnexion mondiale de tous les
ordinateurs offre de multiples autres possibilités: téléphone international au prix
d'une communication locale, visioconférence, jeux en réseau, radio en direct...
D’autres nouvelles utilisation de l’Internet sont possibles.
Ce réseau véhicule donc toutes sortes d'informations: les sujets réputés tabous
perdent toute pudeur sur Internet et s'affichent en couleur sans craindre les foudres
de la censure. Ce nouvel espace virtuel, international par définition reste donc pour
l’instant insoumis à quelque forme de contrôle officiel que ce soit. D’où diverses
utilisations de ce réseau : universitaires, commerciales, ludiques... De ce fait les
sites relatifs aux “ drogues ” trouvent aussi sur le réseau un espace interactif.
Sa réputation de “ computer drug ” -celle de la génération X- devrait logiquement
assurer à l'ecstasy une place privilégiée sur le Net. Qu’en est-il exactement ? A quel
type d'information sur le MDMA est il possible d'accéder ? Par qui sont elles émises
et dans quels buts ? Avec quel profit pour les différents acteurs de la scène
“ ecstasy ” -usagers, trafiquants, chimistes, policiers, cliniciens et autres chercheursqui disposent d’un accès au réseau?
1. Echanges d’informations sur le réseau
Le méta-réseau global qui constitue le Net d'aujourd'hui regroupe plus de dix mille
réseaux et l’Internet fait lui-même partie d'un complexe plus large de réseaux
interconnectés qu'on appelle la matrice (Matrix).
* Le Réseau en pratique
Que peut on faire concrètement sur un réseau comme Internet ?
Si demain, un simple téléviseur relié au câble ou à une parabole devrait permettre
de surfer sur le Net, il faut aujourd’hui disposer au minimum d’un ordinateur équipé
d'un modem, d'une kyrielle de logiciels dédiés à la navigation sur le Net, d'une ligne
téléphonique et d'un abonnement auprès d'un fournisseur d'accès... N'importe quel
ordinateur personnel (P.C., Macintosh, Amiga, station de travail...), pourvu qu'il soit
équipé d'un port de communication adéquat, peut en principe permettre d’accéder
au réseau avec l’aide d’un modem.
Les logiciels de navigation permettent de mettre en page et en image les données
récupérées du réseau. Ils peuvent permettre d'accéder à tous les services34
d’Internet, comme le fameux Navigator de Netscape, aussi efficace dans les forums
et sur le Web que dans l'envoi ou la réception de courrier électronique ou dans le
téléchargement de fichiers.
* Les Fonctions de l’Internet
Si Internet offre une multitude d’applications différentes, dans la pratique on
distingue cinq utilisations principales auxquelles auront le plus souvent recours les
internautes: le courrier électronique, les groupes de discussion, le “ Chat ”
(bavardage), le transfert de fichier et le Web.
Le courrier électronique .
Les fameux Email ou Mel en français, permet d'envoyer des messages de tout type
à un correspondant dont on connaît l'adresse électronique, dite Email. Très
rapidement, le message expédié sera accessible pour le destinataire, où qu'il se
trouve pourvu qu'il dispose d'un accès au réseau. Il est possible de joindre toutes
sortes de documents numérisés dans un courrier numérique: du son, des vidéos,
des images, des liens hypertextes...
L’adresse Email (par exemple: [email protected]), identifie l'internaute dans la
communauté virtuelle. Elle lui permet de recevoir du courrier électronique mais aussi
de s'abonner à des listes de diffusion (pour être tenu informé régulièrement par
Email des mises à jour de sites intéressants), et également de recevoir les réactions
des internautes suite à des interventions dans les forums... L'adresse électronique
permet d'être “ localisé ” dans le cyberespace, à la manière d'un numéro de
téléphone ou d’une adresse postale.
L'accès aux forums de UseNet .
Les newsgroups (ou forums) permettent à chaque internaute de s'exprimer
librement et parfois moins librement quand le newsgroup est dit “ modéré ”, filtré par
un volontaire qui s'assure que le message posté dans le groupe est bien en rapport
avec l'intitulé de celui ci sur un sujet déterminé.
Il existe des milliers de groupes de discussion différents, aux intitulés souvent
hermétiques pour les néophytes, couvrant la quasi totalité des sujets possibles. On y
lit des “ News ” contenant les coordonnées électroniques de l'expéditeur, du texte,
parfois des images, voir même de petites animations. On peut répondre à
l'expéditeur via son Email ou publier une réponse dans le newsgroup, dès lors lisible
par tous. On peut trouver sur une annonce des renvois hypertextes vers des
serveurs Web et ainsi découvrir un site web en rapport avec le sujet du groupe
auquel on “ s’est abonné ”. Autrement dit, on annonce à son logiciel de lecture de
news à quels groupes on s’intéresse, afin de ne télé-charger qu’une fois la liste de
tous les groupes de discussion dont le prestataire d’accès autorise la consultation.35
La navigation sur le World Wide Web .
Le Web s’imposant comme l’espace standard du Net, a relégué les premiers modes
de navigation dans le cyberespace au rang d'antiquités... C'est en effet le World
Wide Web, ou WWWW (W3), qui figure la partie la plus excitante et conviviale du
réseau Internet. En effet, la navigation sur le réseau, suite à l'engouement du grand
public, s'oriente vers ses formes les plus aisées. Un document Hypertext est un
document informatique interactif, encodé dans le langage HTML (Hypertext Markup
Language).
L’’HyperText permet d'accéder d'un simple “ clic ” de souris au contenu d'une
nouvelle page pouvant contenir du texte, des images, des tableaux, des sons, des
animations et d'autres liens: on parle de documents multimédia. Même la télévision
et la radio ont fait leur apparition sur le Web. Ainsi, le terme “ surfer ” signifie donc
naviguer d'un lien à l’autre, sans vraiment savoir où l'on va arriver en se laissant
porter sur la vague numérique.
La discussion en temps réel .
L'IRC permet de dialoguer en direct avec d'autres utilisateurs du réseau, où qu'ils se
trouvent dans le monde, au prix d'une communication téléphonique locale. Forme
actualisée des “ conversations en direct ” de notre Minitel national. L'accès au
“ Chat ” demandait certaines connaissances techniques pointues avant que les
Browsers comme Navigator l'intègrent directement, grâce à l’ajout d’un Plug In.
Toutefois, cette forme de discussion par textes interposés tend à être reléguée au
rang de curiosité depuis que certains ont pensé à utiliser Internet, qui fonctionnent
rappelons le grâce aux réseaux téléphoniques, pour... téléphoner !
La téléphonie en directe .
On peut maintenant téléphoner via Internet. Ainsi, “ Internet Phone ” par exemple
est l’un de ces logiciels qui permettent de parler en direct avec un interlocuteur,
connu ou inconnu. Chaque personne qui dispose du logiciel peut se connecter sur le
site Internet “ Iphone ” et compose le numéro d’adresse Internet (reconnu par
TCP/IP) du correspondant souhaité. A défaut de correspondant, il peut en trouver un
dans l’une des multiples salles de discussion, assez proches des newsgroups, aux
sujets variés. Toutefois, là encore, il faut savoir que les conversations sont souvent
de nature sexuelles... Et si jamais vous ne trouvez pas la “ Chat Room ” qui vous
convient, vous pouvez créer la votre... La liste des “ Internet-Phoners ” d’un groupe
permet de choisir qui appeler parmi les connectés. Une fois inscrit sur l’une de ces
listes, attendez vous à l’appel d’un inconnu du bout du monde. Internet permet donc
de parler en direct avec un australien inconnu qui a les mêmes centres d’intérêts
que vous... pour le prix d’une communication locale, le cyberespace ne connaissant
pas les distances. Toutefois, la qualité de la transmission n’est pas équivalente à
celle des réseaux classiques, à moins d’investir dans une carte spécialisée.36
Visioconférence et salles de palabres virtuelles .
Aujourd'hui, le “ Chat ” bénéficie pleinement des innovations technologiques
incessantes: l'utilisateur équipé d'une caméra pourra ainsi visualiser son
interlocuteur en direct (système Cu SeeMe) s’il est aussi équipé et envoyer son
image sur le réseau. Là encore, les applications pratiques de la visioconférence sont
le plus souvent perverties par les marchands du sexe. Déjà, contre un numéro de
carte Visa, on peut diriger avec sa souris une caméra distante de milliers de
kilomètres braquée sur... une jeune fille qui se déshabille.
S'il ne dispose pas d'une vidéo, l'internaute bavard pourra néanmoins se créer une
image et palabrer sur le réseau, notamment grâce au projet “ 2ème monde ” de
Canal+ ou encore en se rendant au “ Palace ”, site d'IRC multimédia branché. Là, il
déambulera dans un château virtuel, à la recherche d’interlocuteurs représentés
graphiquement par une icône personnalisable (toujours inspiré du Smiley!) et pourra
s'adresser en temps réel à tous les connectés qu'il apercevra ainsi symbolisés dans
son périple. Si l’on tient souvent au “ Palace ” des conversations avec des
internautes inconnus (plutôt pauvres, du style “ Ca va? Oui et toi, ça va ? ”), on peut
tout à fait donner à ses amis distants des rendez vous dans le Palace et se retirer
pour “ chater ” discrètement dans une salle virtuelle reculée.
Autres fonctions du réseau .
A ces fonctions principales, on peut ajouter aussi la possibilité d'émuler des
terminaux à distance (via Telnet). Concrètement, cela vous permet de vous
connecter sur d’énormes sites de bases de données, comme par exemple les
catalogues numériques de grandes bibliothèques et d’effectuer vos recherches de la
même façon que si vous utilisiez l’ordinateur de cette bibliothèque... sauf que vous
êtes chez vous. De même, Internet permet de transférer des fichiers entiers via ftp
(File Transfert Protocole -protocole de Transfert de fichier). Allez sur un site FTP qui
autorise l’accès anonyme, choisissez le type de fichier que vous cherchez -le plus
souvent, il s’agira de logiciels freeware (gratuits) ou shareware (l’essai seul est
gratuit ensuite, il faut payer directement l’auteur)- mais on peut télé charger tous les
types de fichiers: livres numérisés, films, bases de données et images. Les logiciels
de téléchargement travaillent en “ tâche de fond ”, c’est-à-dire qu’ils vous permettent
de continuer votre périple sur le réseau tout en copiant des fichiers distants sur votre
disque dur, à l’endroit que vous aurez spécifié. Bien sûr, le temps nécessaire au
transfert dépendra là encore de l’encombrement du réseau mais théoriquement, on
peut ouvrir jusqu’à huit sites Web simultanément sur Netscape et de là, copier
jusqu’à huit fichiers à la fois ! Evidemment, la vitesse du transfert s’en ressentira
considérablement.

2. Les sites drogues et ecstasy
Nous avons exploré de nombreux sites “ Internet ”, certains sont spécialisés en
ecstasy, d’autres traitent de la drogue de manière générale et certains d’entre eux
s’intéressent plus à la musique techno.37
* Les Sites Spécialisés en Mdma
Avec un tel nom, le site “ ecstasy.org ” s’affiche ouvertement comme “ le ” site
spécialisé dans le MDMA, D’autres serveurs du Web, tout aussi sérieux, consacrent
à cette molécule une part importante de leurs informations, comme le site de MAPS,
l’Association Pluridisciplinaire d’Études Psychédéliques. Mais nous ne présentons ici
que le site d’“ ecstasy.org ”.
Ecstasy.org .
Le site d’ecstasy.org mérite une place toute particulière dans notre étude. La
personnalité du “ Webmaster ” (le concepteur/animateur), Nicholas Saunders,
chercheur spécialisé sur le sujet, le rend incontournable. Tous les moteurs de
recherche le place en bonne position et une astuce de l’auteur, qui a rendu
disponible son livre “ E comme Ecstasy ” sur le réseau en le tronçonnant en autant
d’adresses Internet indépendantes, lui assure une excellente publicité dans la
mesure où les moteurs proposent des centaines de renvoi vers son site, un par
chapitre ou appendice. Le site constitue sans doute, pour le moment, la plus
importante base de données du réseau sur le sujet.
La première section de son site est dédiée aux différents travaux de l’auteur. Il est
possible d’y effectuer le téléchargement de “ E For Ecstasy ”, de commander
d’autres ouvrages de l’auteur, de lire un compte rendu d’une décision de justice qui
interdit son livre en Australie et même de répondre à un “ appel à contribution ” pour
son prochain ouvrage, qui traitera de “ l’utilisation spirituel des psycho-actifs ”.
La seconde section “ d’ecstasy.org ” traite des risques et de la toxicité du produit.
L’auteur passe en revue les preuves de la toxicité, expose les points de conflit entre
les experts, propose des interviews de spécialistes, fait une étude critique des cas
reportés de décès attribués à l’ecstasy, relate un rapport gouvernemental anglais qui
considère comme minimes les risques létaux associés à l’usage d’ecstasy et enfin
s’interroge sur les conséquences du mélange ecstasy/héroïne.
La section suivante du site est relative au traitement de l’X dans les média dont
l’auteur accuse certains de désinformation au sujet de l’ecstasy.
Tout un chapitre consacrée à “ la culture Dance et l’usage de drogues ” où sont
développés les aspects juridiques du problème (notamment le “ Criminal Justice
Act ”, premier du genre qui interdit en Grande Bretagne les rassemblements de
personnes sur fond de musique techno...), une liste des autres drogues à la mode
dans les “ Raves Parties ”, les conséquences de certains mélanges d’ecstasy avec
d’autres psychotropes, des informations sur “ l’herbal ecstasy ” et d’autres produits
psycho-actifs licites qui font l’objet de nombreuses discussions entre les adeptes.
Une section est bien sûr dédiée à la recherche, avec les résumés des derniers
articles scientifiques parut, le détail de recherches menées par des étudiants sur
l’ecstasy ainsi qu’un exposé de l’état des connaissances scientifiques, surtout
américaines.38
Une autre section, d’un contenu plus diversifié, traite de la fabrication clandestine de
l’ecstasy, de l’intérêt d’un usage spirituel de MDMA pour des religieux, propose des
autoportraits d’artistes réalisés sous ecstasy et, dans une rubrique de “ tuyaux ”
juridiques, souligne le caractère illicite de la molécule en rappelant aux gobeurs
anglais leurs droits lors d’une confrontation avec la police. On trouve même sur
ecstasy.org l’adresse d’un psychiatre londonien spécialiste de l’ecstasy prêt à aider
par son témoignage devant les tribunaux toute personne arrêtée pour usage
d’ecstasy...
On trouve ensuite une partie “ Feed-back ”, plus interactive, qui repose sur l’initiative
des cyber-gobeurs. N. Saunders y lance des appels pour trouver des journalistes
d’investigations, propose une liste des causes de “ bad trips ”, un accès aux récits
d’expériences personnelles d’usagers, la possibilité de poser des questions à
l’auteur...
La dernière partie du site contribue sans doute pour une bonne part à la réputation
du site en participant activement à la réduction des risques. Saunders fait là le point
sur les tests en cours pour mesurer la concentration de MDMA contenue dans les
pilules vendues sur les marchés noirs. Ainsi, on accède aussi aux résultats de tests
chimiques effectués sur des pilules -trouvées en Allemagne, en Grande Bretagne ou
aux États Unis- avec photo des cachets, teneur en principes actifs, nature des
produits de coupage et commentaires.
Cette véritable “ banque de données ” sur l’ecstasy permet aux usagers
consommateurs de trouver une information jusqu’à présent inaccessible: connaître
la nature de ce qu’ils ingèrent afin de faire leur choix en connaissance de cause.
Face à la disparité des teneurs en principes actifs des pilules analysées, il est
logique que le dernier lien HTML du site s’intitule “ les chances d’obtenir un bon
ecsta et tout ce que l’on peut trouver dedans ”...
* Les Sites “ Drogues ”
Les sites relatifs aux drogues sont très nombreux sur le Net et nous avons dû opérer
une sélection. Nous nous sommes contenté d’explorer les sites suivants : 1)
Lycaeum ; 2) Gabbernet ; 3) Parnoïa ; 4) Hyerreal et Pihkal. Nous ne présentons ici
que ce dernier site.
Hyperreal et PIHKAL .
On trouve sur ce site, incontournable, de nombreuses informations sur les
psychotropes, la techno, la culture Cyber et les ressources “ psychédéliques ”
disponibles sur le Net. Les webmasters d’Hyperreal proposent une multitude de
liens vers d’autres ressources et leur site est parmi les plus fréquentés par la
communauté “ virtuelle ” des amateurs de psychotropes synthétiques. C’est
d’ailleurs Lamont Grandquist ([email protected]) qui s’occupe de la partie
réservée à l’ecstasy dans Hyperreal. Lamont Grandquist semble prendre une part
active dans la mise à disposition d’informations relatives à l’ecstasy sur Internet.39
C’est notamment à lui que l’on doit “ les archives ” du forum “ alt.drug ” ainsi que la
mise au format HTML d’ouvrages psychédéliques de référence, comme le best
seller de Saunders, E comme Ecstasy, ainsi que le fameux PIHKAL, d’Alexander et
Ann Shulgin qu’il est possible de télécharger dans sa version intégrale sur de
nombreux sites psychédéliques.
PIHKAL (traduisons: “ les phenethylamines que j'ai connues et aimées ”) est
l’ouvrage favori du chimiste-bidouilleur de molécules psychotropes. L'ouvrage
recense et explique rigoureusement les processus de fabrication de cent soixante
dix neuf psychotropes de synthèse, testés “ in vivo ” par le couple. Ce sont eux qui
ont sorti de l’oubli cette molécule synthétisée avant la première guerre mondiale et
qui se trouvent donc être, involontairement, à l’origine de son introduction dans la
panoplie psychédélique. La place majeure que les Shulgin occupent dans l'histoire
du MDMA fait de PIHKAL un document incontournable du réseau. Ainsi, les
principaux sites dédiés aux drogues proposent le plus souvent un accès direct à la
version hypertexte de cette encyclopédie de la chimie des psychotropes. Voici en
quels termes A. Shulgin décrit dans le chapitre correspondant une expérience avec
120 mg de ce MDMA qu'il a redécouvert et synthétisé.
“ Avec 120 Mg, je me sens absolument bien et ne ressent rien d’autre qu’une pure
euphorie. Je ne me suis jamais senti aussi bien ni même cru que c’était possible. La
pureté, la clarté et cette merveilleuse sensation de solide force intérieure ont duré
toute la journée, le soir et même le lendemain. Je me suis laissé emporté par la
profondeur de l’expérience, tellement plus puissante que les précédentes, sans
aucune raison apparente autre que l’amélioration de mon état d’esprit. Toute la
journée suivante, je me suis senti comme un “citoyen de l’univers” plus que comme
un citoyen de la planète, complètement déconnecté du temps, passant facilement
d’une activité à l’autre. ”
On comprend bien à la lecture de cet extrait pourquoi A Shulgin est devenu une
personnalité emblématique pour la communauté des usagers de psychédéliques à
tel point que la répression des agents prohibitionnistes américains ne s’est pas fait
attendre. On trouve à ce sujet sur Hyperreal toute une section destinée à informer
les internautes des mésaventures du célèbre couple de scientifiques qui se sont vus
retirer leur licence d’utilisation de psychotropes inscrits aux tableaux I par la DEA en
plus d’une amende de 40 000$. Les webmasters du site d’Hyperreal ont donc
décider de mettre en place une “ collecte ” de fonds pour payer cette énorme
amende:
“ Si chaque personne donne un $ à chaque fois qu’elle accède à cette page web,
l’amende des Shulgin sera payée dans environ un mois. ”
Hyperreal permet également de télécharger des documents officiels sur le
classement des drogues dont un très long rapport, véritable bataille d’experts, très
riches en informations pointues sur l’ecstasy. Le classement du MDMA par la DEA,
grâce à une procédure d’urgence, sur la liste 1 des produits stupéfiants a été
contesté et c’est un juge administratif (Francis L. Young) qui après avoir écouté les
débats a conclu le 22 Mai 86 que :40
“ A partir de ce rapport, le juge administratif recommande que la substance 3, 4-
méthylènedioxyméthamphétamine, également connue sous le nom de MDMA, soit
inscrite au tableau III. ”
Signalons que l’inscription à ce tableau autorise l’usage thérapeutique, mais que
depuis, la DEA a finalement obtenue gain de cause et fait reclassé le MDMA au
Tableau I.

3. L’Internet et le mouvement " Techno "
Sur le réseau de nombreux sites consacrés à la musique techno et aux raves, la
plupart d’entre eux faisant référence aux drogues psychédéliques et certains d’entre
eux dans le but de faire de l’information et de la prévention des risques.
* Trouver une rave avec Internet ?
Au début, les rave-parties étaient des événements confidentiels, connus des
quelques initiés qui attendaient avec impatience l’annonce des dates et surtout des
lieux, révélés à la dernière minute pour prévenir une rencontre inopportune avec les
autorités. Les gouvernements, d'abord anglais, ont en effet trouvé dans ce recours à
des drogues de synthèses un bon prétexte pour interdire ces rassemblements de
jeunes qui affectionnent particulièrement les endroits les plus insolites pour se
régaler collectivement d'images, de sons et de cet état mental redécouvert après
plusieurs siècles d'exclusion des pratiques sociales: la transe collective.
Si bien que les quelques pays libéraux sur les “rave-parties ” -l’Allemagne, la
Hollande, la Suisse, Goa pour les plus riches- drainent maintenant des dizaines de
milliers de ravers lors de grandes messes technos. Si bien que de clandestines
qu’elles étaient, aujourd’hui, les “ grandes ” raves sont devenues des événements
médiatiques considérables, annoncées à grands renforts de publicité. Avec Internet
notamment, on peut savoir en quelques secondes où auront lieu les prochaines
raves dans le monde entier. Du moins bien sûr, celles que leurs organisateurs
auront annoncées sur un site comme celui de “ raves ” qui propose entre autres une
rubrique “ trouver une fête ”. Sélectionnez le continent, puis le pays et enfin la ville
pour que le serveur du site vous indique où aller passer votre week-end si vous êtes
amateur de BPM (Battements par Minute). Il n’est d’ailleurs pas rare de trouver lors
d’une rave des petites salles reculées avec des ordinateurs connectés au réseau
auxquels les ravers ont accès. Les informations psychédéliques retirées du Web
sont projetées sur écran géant, entre deux animations fractaloïdales (la fractale
symbolisant le psychédélique dans la communauté des cyber-zippies) générées par
des logiciels téléchargeables sur des sites comme Hyperreal.
* Rave et ecstasy41
A l’écoute de pulsations musicales hyper rapides, caractéristiques de ces nouvelles
musiques, les corps bougent frénétiquement et la fatigue se fait vite ressentir. Aussi,
c'est assez naturellement que les psychotropes consommés par les jeunes Yuppies
londoniens dans les premières grandes “ rave-parties ” étaient plutôt des stimulants:
amphétamines, speed, cocaïne et méta-amphétamines remisent au goût du jour
pour l'occasion. En prolongeant la capacité du corps à danser pendant des heures
et en donnant la sensation d'une parfaite osmose entre soi et les autres ravers
(empathogénèse), l'ecstasy s'est très vite affirmée comme une designer-drug idéale
pour ce genre de soirée, avec, entre autres, le L.S.D. (qui permet pourtant un
voyage d'un genre tout à fait différent).
On peut ainsi trouver avec Internet des précisions sur cette association
ecstasy/techno dans un article trouvé sur le site de MAPS, “ Raves for Research or
Psychedelic researchers: the Next Generation ” ou Julie Holland rapporte les
résultats d'une étude par questionnaire qu’elle a menée sur la scène Rave New
Yorkaise. Elle décrit une population remarquablement hétérogène réfléchissant une
diversité de races, de sexes, de classes, d'orientations sexuelles avec pour
caractéristique commune, l'âge -entre seize et vingt cinq ans- et un goût plutôt
prononcé pour les drogues psychédéliques;
“ Au sujet de l'usage de drogues, un très gros pourcentage de ravers réguliers
(environ 75%) avaient pris du L.S.D. lors d'une rave et à peu près autant du MDMA.
La marijuana était moins utilisée (environ 60%) et l’alcool beaucoup moins (environ
20%). Il y avait un usage peu fréquent de cocaïne (environ 10 à 15%) et quasiment
pas d’usage d’héroïne ni d’amphétamines.
Quoi qu’il en soit, bien que les drogues soient souvent utilisées dans les raves, tout
le monde n’y a pas eu recours. Environ 15% de ravers ont rapporté s’être
complètement abstenu. ”
J. Holland précise en outre qu’il y eût très peu de problèmes connus liés à l’usage
de drogues et ceux qui le furent étaient mineurs, qu’il y eût une grande diversité de
bénéfices avancés, allant d’une simple “ récréation ” à des changements profonds
de personnalité suite à des expériences comparables à des “ illuminations. ”
L’auteur prédit un long avenir aux raves-parties dans la mesure où:
“ Les sondés, connaissant en masse des expériences positives dans les raves,
affirmaient vouloir continuer à s’y rendre (les bénéfices perçus pesant beaucoup plus
lourds dans la balance que les inconvénients) et préféraient prendre des drogues
dans les raves plutôt qu’en dehors des raves. ”
Toutefois l’étude à mis en relief les problèmes liés à la méconnaissance des effets
du MDMA -autres que psychotropes- par ceux qui consommaient cette drogue: “ Il y
avait un taux inquiétant de désinformation au sujet du MDMA, y compris la
persistance de l’extraordinaire mythe selon lequel le MDMA liquéfierait la moelle
épinière. ”42
Pour faire face à ce manque d’information -cet excès de désinformation ?-, on
trouve sur un grand nombre de sites sur la techno des textes dont le but est de faire
taire les rumeurs infondées sur l’ecstasy en permettant aux usagers de réduire les
risques au maximum avec des conseils avisés..
* Prévention des risques sur les sites techno
On se doute que la prévention des risques liées à l’ecstasy trouve un support idéal
sur les sites technos d’internet, Ainsi, par exemple, Hyperreal -qui traite aussi des
nouvelles musiques numériques- propose une “ official alt.rave FAQ ” tenue par
Chris Hilker ([email protected]) qui vise à expliciter ce qu’il faut attendre de ce
newsgroup spécialisé, créé au début de l’année 1992 et qui compte plus de vingt
mille lecteurs. Mais suite à une forte demande des internautes intéressés, il fût créé
un autre newsgroup, “ alt.music.techno ”, dédié à la seule musique ainsi qu’une
autre hiérarchie dans UseNet, “ rec.music.synth ” destinée plus particulièrement aux
musiciens qui utilisent des technologies numériques. L’auteur de cette FAQ répond
à un certain nombre de questions sur l’ecstasy dans sa partie consacrée aux
drogues, après avoir préalablement précisé qu’il “ n’accepte aucune responsabilité
pour d’éventuels tords ou blessures résultant de l’usage des produits chimiques sus
décrits.”
Il semble intéressant de noter que l’auteur encourage les lecteurs qui voudraient
prendre de telles drogues “ qu’ils se doivent à eux mêmes de recueillir des infos
avant de faire un choix relatif aux drogues ” et qu’ils ont accès “ à une incroyable
masse d’informations sur ce réseau. ” Dans le paragraphe où il traite de l’ecstasy,
l’auteur insiste à nouveau sur cet aspect de la prévention des risques propre au Net:
“ Il y a de très intéressantes infos à glaner sur le Web à Hyperreal et dans “alt.drug :
allez les chercher ! ”
Ensuite, C. Hilker résume bien “ l'état de la question ” en répondant à seulement
trois questions parmi les plus fréquemment posées, révélatrices des interrogations
des ravers au sujet de l’ecstasy:
“ Pour parler rapidement de l ’ecstasy:
- Non, ça ne liquéfie pas la moelle épinière et des dommages permanents sur le
cerveau ne sont toujours pas prouvés,
- Quand vous en avez pris, il faut boire BEAUCOUP d’eau pour rester hydraté,
spécialement si vous dansez à fond,
- Oui, c’est illégal. ”
“ Il y a beaucoup d’autres choses à dire alors allez voir ces fichiers MAINTENANT
avant même de penser à essayer. ”
En France, au sujet de l’information sur les risques, nous avons découvert en
surfant le site de “ Techno + ”, association de prévention spécialisée dans les
psychédélioques Ainsi, après avoir pris soin de rappeler que “ l’ecstasy est une
substance psychotrope classée au tableau B des stupéfiants, à savoir prohibée ”,
les auteurs exposent leurs buts:43
“ Ce document est destiné à informer les usagés et à les responsabiliser. Il vise à
prévenir l'abus, limiter les risques et non à encourager la consommation. ” (...)
L’association propose ensuite aux usagers des infos utiles à la réduction des
risques, synthétisées par P. Langlois :
“ 1. La MDMA est médicalement contre-indiquée dans les cas de troubles du
rythme cardiaque, d’épilepsie, de problèmes psychiatriques, d'insuffisance rénale,
d'asthme, ou d'asthénie (à fortiori lors d'un traitement médicamenteux). Elle est
évidemment déconseillée aux femmes enceintes. Son usage entraînant une grande
fatigue, ainsi qu'un éventuel état dépressif momentané, il est conseillé de se reposer
les jours suivants.
2. N'achète pas n'importe quoi à n'importe qui.
3. Ne consomme l'ecstasy jamais seul et qu'avec des gens de confiance, dans un
contexte favorable.
4. Ne mélange pas la MDMA avec d'autres substances, en particulier l'alcool.
5. Ne répète pas l'expérience avant plusieurs semaines.
6. Ne gobe pas plusieurs ecsta dans une même soirée (hyperthermie, problèmes
cardio-vasculaires...). Moins on en prend, plus on apprécie les effets.
7. N'absorbe l'ecstasy que par voie orale.
8. Porte des vêtements amples (pas de bonnet).
9. Bois de l'eau régulièrement.
10. Évite d'avoir l'estomac plein (nausées, digestion difficile) mais prend un repas
énergétique quelques heures avant (il te faut des forces...).
11. Lors de la descente, mange des produits vitaminés et sucrés (fruits, bonbons...).
12. Évite de conduire un véhicule (reste en vie, on t'aime!) ou d'entreprendre une
activité à responsabilité... ”
Ces extraits montrent bien dans quel esprit la question ecstasy est souvent abordée
sur les sites web relatifs à la techno: ne pas rejeter, ne pas faire d’apologie mais
prévenir les risques en rappelant que l’on peut “ raver ” sans forcément recourir à
des psychotropes. On trouve à ce sujet une controverse entre les ravers, certains
considérant que les fêtes technos seraient beaucoup mieux appréciées par l’opinion
publique sans les drogues quand les autres considèrent que sans drogues, les raves
n’auraient jamais pu exister.
Quoi qu’il en soit, Internet, la techno et l'ecstasy semblent bien constituer les
attributs d’un nouveau groupe social -“ virtuel de fait ”, Cette passion pour le
“ cyber ”, le virtuel, les nouvelles musiques, le psychédélisme et les psychotropes
synthétiques “ dopants-euphorigènes ” comme l'ecstasy est partagée par des
millions de jeunes qui évoluent dans un vrai monde (V.M.) où leur culture est rejetée
car souvent incomprise. Les raves et l’usage de drogues y étant interdits cette
“ génération X ” affiche ses goûts sur Internet et trouve dans le monde virtuel (M.V.)
-rapide, libre et ludique- l’endroit idéal pour se rencontrer. Pourtant, le même réseau
héberge aussi des sites d’information sur les drogues dont le contenu se trouve aux
antipodes de celui que recherchent les zippies...

4. La “cyber culture”
* Aspects sociologiques44
Des milliers d’individus installés dans des pays différents les uns des autres. Ils
communiquent et interagissent dans un espace qui ne cesse de se développer et
d’intégrer de nouvelles populations.
L’utilisateur de l’Internet commence par s’inscrire dans un groupe social et dans un
espace en construction : langage, outils, rapports sociaux...
Quant aux sciences humaines commencent à s’intéresser à tout ce qui se passe
dans ce mouvement : des nouveaux concepts de temps, d’espace, d’ordre; de
l’émergence de nouveaux langages, de nouvelles expressions; des institutions et
normes dans l’expérience du cyberespace; des nouvelles représentations du genre,
des classes et surtout, de l’impact de hypertexte et des technologies multimédia sur
la pensée...
Ceci dit, il convient de ne pas perdre de vue un élément essentiel: ne peuvent venir
sur Internet que ceux qui disposent des moyens de s'y connecter (à leur domicile ou
à leur lieu de travail), à savoir un ordinateur et un modem...
* la “cyber culture”
La cyberculture est caractérisée par le brassage des liens qui unissent ecstasy,
techno, raves, ordinateurs, Internet, zippies... On trouve dans le “ Que Sais-Je ”
consacré à Internet que:
“ La réalité virtuelle fut rapidement annexée par un courant de pensée apparenté aux
mouvements contestataires des années 60, profondément influencée par le pseudospiritualisme New-age et fascinée par l'alternative techno à la pharmacopée
traditionnelle des paradis artificiels. ”
Dans “ Chaos et cyber culture ”, ouvrage de Timothy Leary publié en 1994, on
trouve une intéressante tentative de définition de ce groupe social particulier dont il
est question ici, les surfeurs technophiles, gobeurs internautes et autres zippies
ravers... Après avoir passé en revue les attributs constitutifs des principaux
mouvements contre-culturels de la seconde moitié du siècle -beatniks, hippies,
cyberpunks-. Leary n'hésite pas à parler d'une “ nouvelle race ” pour définir le coeur
de notre cible, les ravers-gobeurs-internautes:

- Humeur : Alerte, joyeuse ;
- Erotisme esthétique : Invention d’un style personnel, électrique, préfère la
musique techno et la musique d’ambiance ;
- Attitude : Confiance en soi ;
- Technique mentale : Psychédéliques, très haute
technologie, drogues chics, cerveaux électroniques, Internet ;
- Point de vue intellectuel : Informé, ayant l’esprit ouvert, irrévérencieux ;
- Quotient Humain : Non sexiste, écologiste, vision globale ;
- Politique : Sans attache, individualiste, opportuniste zen ;
- Vue Cosmique : Acceptation de la complexité, volonté d’être un “ concepteur de
chaos. ”45
* Les Zippies
Les Zippies sont nés de la rencontre entre les ex-hippies idéalistes des années 70,
les “ ravers ” technophiles qui ont redécouvert la transe et le MDMA au milieu des
années 80, et de la construction progressive du réseau des réseaux, le Net, qui est
sorti de l'escarcelle militaro-universitaire pour commencer à se démocratiser vers la
même époque. Les premiers, après l'échec -relatif- de la révolution contre-culturelle
qu'ils prônaient durant les années psychédéliques, ont découvert la voie du Zen et
les philosophies orientales. Les seconds, amateurs de techno, ont bénéficié de
l'explosion du numérique pour affirmer au milieu des années 80 un style musical
basé sur du “ sample ” et du “ B.P.M. ” : la Techno.
Ces zippies, seraient “ psychédéliques ” sans aucune honte, consommant du
haschich, des champignons, des acides, des ecstasy et, pour les plus branchés, du
D.M.T. Les penseurs zippies ont une prédilection pour les penseurs psychédéliques
-Timothy Leary, Alexander Shulgin, John C. Lilly, ou Terence Mc Kenna, mais
trouvent leurs guides spirituels à l’Est comme à l’Ouest, avec des gens comme
Pierre Teilhard de Chardin, Maharishi Mahesh Yogi,et Shiva entre autres. Les
zippies ont leur lieux cultes Stonehenge, Glastonbury, la province indienne de Goa,
la Thaïlande, San Francisco, Amsterdam; et l’Irlande du Nord durant la saison des
“ champignons magiques ”. Les zippies n’ont pas de culte et n’ont pas d’uniforme qui
permettre de les reconnaître.






IX. ZOOM SUR LES MILIEUX DE LA NUIT A PARIS

Les quatre mois de terrain dans les milieux de la nuit parisienne nous ont permis de
nous intégrer dans des bars et des clubs à partir notamment de premiers contacts
pris dans des associations ou des médias techno. Le Kiosque Info Sida nous a
particulièrement soutenus et présentés à des personnalités fortes de la nuit
(organisateurs de soirées, patrons de bars...) et à des consommateurs ou exconsommateurs prêts alors à s’engager dans l’étude. L’intervention positive de
personnes reconnues dans le milieu a largement facilité la confiance qu’ont pu nous
témoigner les enquêtés. Notre position de chercheur visant l’objectivité et la
neutralité a joué aussi dans ce sens là. Nous avons donc travaillé à partir de deux
bars homosexuels du marais et nous nous sommes aussi rendus dans six boîtes
(deux de filles et quatre de garçons). Par ailleurs l’événement regroupant les
homosexuels et leurs sympathisants : la marche de la "gaypride" fin juin nous a
permis de rencontrer nombre de consommateurs.
Notre échantillon regroupe 41 personnes (12 femmes et 29 hommes) qui ont
accepté de remplir le questionnaire. Quatorze d'entre elles (3 femmes et 11
hommes) ont accepté d'être enregistrées et d'approfondir des questions autour de
leur mode de vie et de leur itinéraire de consommation de produits psychotropes.

1. Présentation de l'échantillon
Notre échantillon regroupe certes des profils très différents au niveau des âges et
des consommations, mais il ne peut être qualifié de représentatif.
Nous disposons donc de 41 questionnaires. Parmi les répondants nous pouvons
recenser 7 lesbiennes, 2 bisexuels, 22 homosexuels, 5 femmes hétérosexuelles et 5
hommes hétérosexuels. Seules quatre personnes déclarent n'avoir gobé qu'en rave
parties, 33 personnes ont consommé des cachets d'ecstasy en boîtes ou clubs, 18
personnes sont déjà allés en rave parties et 19 personnes déclarent avoir
consommé en privé. Ce dernier item peut regrouper des individus ayant gobé seul
chez eux, ou bien ayant consommé avec un groupe d'amis lors de fêtes privées, ou
encore ayant pris des ecstasys en début de soirée avec des amis au domicile
personnel de l'un d'eux, avant de sortir et poursuivre la fête dans une boîte
extérieure. Ces données confirment bien le fait que la majorité des personnes
constituant cet échantillon fait partie du groupe des clubbers, sachant que parmi eux
on peut compter quelques authentiques raveurs, mais aussi des personnes ayant
voulu découvrir au moins une fois les raves-parties, alors qu'elles sortent
généralement en boîte. En ce qui concerne la consommation en privé, elle semble
assez importante en quantité, bien que l'on n'ait pas les moyens d'évaluer la
fréquence des consommations isolées ; cette consommation en privé infirme le
discours des consommateurs qui disent qu'il n'est pas possible de rester chez soi
lorsque l'on est sous l'effet d'ecstasy, qu’il faut sortir et avoir beaucoup d'espace.
Parmi ces personnes, 18 ont consommé plus de cent fois (une à plusieurs pilules),
10 ont gobé de 20 à 100 fois, 7 en ont pris de 3 à 20 fois, et 6 en ont pris une ou57
deux fois pour tenter l'expérience. Cinq personnes ont commencé leur
consommation en 97, 5 en 96, 7 en 95, 7 en 94, 4 en 93, 2 en 92, 7 en 90, une en
89 et 3 en 88. Nous ne demandions pas d'évaluer le nombre d'ecstasy consommés
mais plutôt le nombre de soirées durant lesquelles les individus avaient gobé. Chez
les gros consommateurs, la quantité de cachets avalés durant une nuit évolue assez
rapidement dans le temps, nous permettant de supposer qu'il existe un phénomène
de tolérance que la plupart des consommateurs attribue généralement à la baisse de
qualité des produits. Une personne déclarant avoir gobé durant une centaine de
soirées en un an (le vendredi et samedi tous les week-ends pendant un an) peut
facilement avoir gobé deux cents à trois cents ectasy.
Parmi les quarante et une personnes rencontrées, 17 n'ont pas consommé d'ecstasy
le mois précédent l'entrevue, 11 personnes déclarent avoir gobé lors d'une ou deux
sorties dans le mois, 5 personnes ont consommé trois à quatre fois, quatre
personnes disent avoir gobé lors de cinq à neuf sorties et quatre personnes sont
sorties dix à vingt fois dans le mois en prenant des ecstasys (ils peuvent très bien
avoir consommé plusieurs cachets dans la nuit).
Concernant la consommation dans le mois précédent, nous avons eu la nette
impression que beaucoup de personnes ont sous- déclaré le nombre de sorties aux
cours desquelles elles avaient gobé, elles disaient facilement : “ quatre fois, tous les
week-ends ”, sans spécifier que leur week-end pouvaient débuter le vendredi soir et
se poursuivre jusqu'au dimanche matin... Parmi cet échantillon de clubbers ou de
gens qui sortent la nuit à Paris, 13 seulement déclarent gober tous les week-ends au
moins ou jusqu'à plusieurs fois par semaine.
En ce qui concerne les âges, ils sont très variés, allant de 19 ans à 42 ans : 2 ont 19-
20 ans, 7 ont 21-22 ans, 9 ont 23-24 ans, 6 ont 25-26 ans, 7 ont 27-30 ans, 7 ont 31-
34 ans, 3 ont 39-42 ans. Vingt deux personnes sont salariées, 9 ont un statut
d'étudiant, 7 touchent le RMI ou sont sans emploi, 3 sont chefs d'entreprise. Quand
au niveau d'études, il est globalement assez élevé puisque 23 personnes ont un
niveau supérieur, 14 un niveau secondaire et 4 seulement un niveau primaire. Ce
haut niveau d'études indique une certaine capacité de réflexion acquise dans les
facultés et les grandes écoles. Ce phénomène, allié aux responsabilités inhérentes à
la vie professionnelle pourrait expliquer le nombre important de consommateurs
d'ecstasy déclarant gérer leur consommation.
* Le passage des raves vers les clubs
Les populations sortant en clubs ou fréquentant les raves parties ne sont pas
forcément dissociées. On peut trouver des raveurs qui sortent en club la semaine
pour continuer une consommation de produits psychotropes ; on rencontrera plus
rarement des clubbers allant en rave party, même par curiosité. Les clubbers sont
habitués à la facilité d'accès des bars et des clubs parisiens, et sachant que ce n'est
pas n'importe qui peut rentrer dans une boîte, c'est un privilège qu'il ne faut pas
perdre.58
Oscar : "Assez rapidement j'ai commencé à sortir en club la semaine parce que
c'était vraiment l'époque : la rave le week-end et le club la semaine parce qu'il n'y
avait pas de rave la semaine quoi. On était des raveurs mais on allait en club parce
que y'avait pas de rave la semaine et on allait pratiquement en club en tant que
raveurs, plutôt lookés comme des raveurs que comme des clubbers et très
rapidement ça a été le mardi soir au P, le jeudi soir au R et le week-end en rave et
toute la semaine s'organisait autour de ça parce que y'avait du petit deal quoi, genre
on vendait entre copains et donc, mine de rien ça prend beaucoup de temps et puis,
c'était une période d'hypersomnie où je me levais régulièrement à deux ou trois
heures de l'après-midi, la journée commençait doucement et dès qu'il faisait nuit, la
ville nous appartenait, on vendait un peu, on gobait, on sortait, on s'amusait, pendant
un an et demi c'était vraiment l'insouciance totale, c'était la fin de mon adolescence
et c'était... l'expression "je pète les plombs", c'est ça quoi, c'était vraiment "je pète les
plombs""
Oscar : "Y'a un truc un peu particulier à la France au niveau des clubs, c'est que y'a
deux ans, quand les arrêtés préfectoraux ont été de plus en plus fréquents et donc
y'a eu de moins en moins de raves illégales entre guillemets... il y a tout un public
rave qui s'est pas retrouvé dans les clubs parisiens parce que, quand même dans
les clubs c'est essentiellement de la house music et dans les raves c'est plutôt de la
techno music... et sinon pour en revenir aux clubs, on trouve aussi facilement de la
drogue, voire plus facilement parce que c'est plus petit et euh... et on connaît peut-
être plus facilement les gens, mais on se drogue tout autant en clubs qu'en rave..."
* Quelques profils de consommateurs
Luc, 25 ans : Il découvre l'ecsta en 90 ; il déclare en avoir consommé beaucoup
plus que six cents, il découvre l'acide, la cocaïne, le spécial K en 92, le cristal,
l'héroïne en 94. Il a abusé de l'ecsta très vite (il en prend tous les jours pendant au
moins un an), son amant est dealer, il a donc une consommation gratuite, le
phénomène d'accoutumance est rapide, il est obligé d'augmenter les doses. Sa
consommation diminue progressivement. Il rend l'ecstasy responsable de sa
séropositivité. Aujourd'hui, il fait des photos de mode et travaille dans une boîte
homo branchée, organisant des soirées. Il ne consomme plus qu'occasionnellement,
sa dernière expérience était “ nulle ”, il n'a rien senti...
Hugues, 32 ans : Provincial, responsable d'un magasin, il découvre l'ecstasy en 92.
Il rentre dans une phase de consommation abusive durant deux années (déclare
deux cents soirées). L'arrêt de la consommation est brutale : Août 94 ; il tient l'ecsta
responsable de sa rupture affective (7 ans de vie de couple), de son licenciement
pour faute professionnelle (il n'arrive pas à se lever le matin), de sa perte
d'appartement (endettement). Il quitte la province pour changer de vie, arrive à Paris
et fait une jaunisse en septembre, jaunisse que les médecins attribuent à l'ecstasy et
à l'alcool. 3 ans après, Hugues se sent encore fragilisé physiquement,
psychologiquement, avec une diminution certaine de la confiance en soi. Hugues est
aujourd'hui salarié dans une association de prévention.59
Thomas, 38 ans : En phase terminale de sida, séropositif depuis 13 ans, il me dit
passer une semaine par mois au lit, terrassé par une maladie opportuniste. C'est le
plus gros consommateur de produits que nous avons rencontré (1000 soirées au
moins et polyconsommation) : sa trithérapie dit-il c'est celle-ci : coke, ecsta, trip. Il
découvre son homosexualité à 14 ans, commence à sortir beaucoup, il consomme le
shit à 15 ans ainsi que l'alcool, il tombe dans la cocaïne à 22, 23 ans, dans l'héroïne
à 26 ans. C'est la descente aux enfers pendant plus de deux ans, puis il découvre le
MDMA il y a dix ans, à Barcelone. Pendant 15 jours, c'est la consommation
quotidienne d'ecsta et de coke. Il rentre à Paris et cherche les réseaux d'ecstas. Il
consomme des ecstasys depuis ce moment là, découvre et consomme le lsd à 30
ans, il apprécie assez. Pendant dix ans, il a eu des passages de fortes
consommations entrecoupées de périodes sans drogue. Il y a trois ans, il a gobé
tous les soirs pendant un an, en associant surtout avec la cocaïne et le lsd. La plus
grosse quantité qu'il se souvient avoir gobé, c'est onze cachets en une soirée. Il
explique qu'il était mal sans sa tête et qu'il ne sentait pas la montée. Par contre, le
lendemain il était "skotché". Il consomme tous produits, mais pour la fête "s'il y en a,
j'en prends pour la fête, tu me verras jamais boire un verre d'alcool ou prendre une
drogue dans la journée... tu me verras jamais me défoncer dans la journée... j'ai pas
envie... c'est ça la drogue pour moi, c'est pas un produit pour être à quatre pattes
dans un coin, c'est pour, justement, aller plus loin".
Stéphanie, 21 ans : Elle goûte un ecsta en 93, puis plus rien pendant un an. Elle
fréquente les raves parties depuis 94 et là, consomme pendant deux ans un ecsta
par soirée tous les week-end, elle s'est fixée cette règle. Depuis 96, elle n'a plus de
limite, elle consomme même durant la semaine, elle gobe trois à 7 ecstas tous les
week-end, sort la semaine en clubs. Elle commence à sniffer de l'héro en descente
d'ecsta tous les week-ends avec ses amis. Elle arrête l'héro, huit mois plus tard, aux
premiers symptômes de manque et poursuit l'ecstasy, la coke, les trips. Elle arrête
de fréquenter ses amis raveurs car certains dealent de l'héro et sont tombés dedans.
Elle rabat dans les boîtes pour sa consommation. Elle a quitté ses parents, a laissé
tombé ses études, vit avec son copain bi, 19 ans, dealer de shit. Elle ne se
considère pas comme une droguée, elle ne sort plus que dans le milieu gay. Elle
déclare que l'ecstasy est plus facile à gérer que la cocaïne et l'héroïne.
Domi, 19 ans : Dealer de shit, obtient ses produits souvent par échange ou partage.
Il fume du shit tous les jours. Il découvre l'ecstasy durant l'été 96, durant un weekend, gobe le week-end suivant puis va consommer très souvent, même durant la
semaine en club ; il déclare avoir consommé deux cents fois en moins d'un an. En
novembre 96 il expérimente la cocaïne, début 97 les micro-pointes (une seule fois),
en mai 97 les champignons (une seule fois), le crack (une nuit) et l'acide qu'il
apprécie. Il supporte bien l'alcool, boit deux fois plus sous ecstas.
Walou, 20 ans : Il découvre le shit à 13 ans, commence à dealer du cannabis, mais
ne dealera jamais rien d'autre. Il découvre l'ecsta en rave, en province, à 16 ans,
sniffe deux lignes d'héro à la même époque en after. Il consomme énormément
d'ecstas pendant deux ans, deux ans et demi, commence à fréquenter le milieu gay
parisien : résultat "j'en avais un peu marre de l'ecsta". Il goûte la cocaïne, puis
retouche à l'héroïne ; peu à peu l'héro devient le seul produit consommé, il devient60
dépendant à 18 ans et demi, il se shoote à 19 ans et demi, il a complètement laissé
tomber l'ecstasy.
Gilles, 42 ans : Il consomme beaucoup depuis 1995 en bars et clubs (déclare 300
soirées), du vendredi au dimanche, minimum 4 ecstas par week-end. Il est en phase
de licenciement pour faute car il est arrivé en retard à son poste (employé en milieu
bancaire depuis 6 ans). "C'est plus ce que c'était l'ecsta, les boîtes ne sont plus
pareilles, le milieu de la fête s'effiloche, les afters sont fermés, il y a une espèce de
pesanteur, les flics, la répression, les bars paranos, mauvaise ambiance". Il traverse
une période alcool qui correspond chez lui à une tentative de diminution des
ecstasys. Il dit ne pas être dans un état psychologique très stable. Il ne considère
pas l'ecstasy comme une drogue mais comme un médicament pour se sentir bien en
groupe, pour oublier tout ce qui ne va pas bien. Il n'achète que dans les bars, aux
copains fournisseurs et consommateurs à la fois. L'ecstasy est un produit dont il est
tombé amoureux de suite, il est donc passé très vite à la vitesse de croisière.
Xavier, 28 ans : Cannabis à 13 ans, découvre l'héroïne par un shoot à 18 ans. Il
découvre l'ecstasy en rave à 19 ans et gobe énormément pendant un an, passe
ensuite à la poudre pendant plusieurs années (prison, soins...) en conservant une
consommation très occasionnelle d'ecstasy. Depuis trois ans il est sous méthadone,
et se remet "tranquillement" dit-il à l'ecstasy (5, 6 par semaine), en rave ou en club. Il
décrit ainsi sa dernière fête : fête de la musique à la Bastille, a gobé deux ecstas la
nuit, a sniffé un raï d'héro (offert) en descente et a bu 3, 4 canettes et de l'énergy
drink ; à dix heures du matin il a pris sa méthadone et a avalé deux boîtes de
codéïne le dimanche après-midi. Il déclare que parmi la quarantaine de toxicos sous
méthadone qu'il fréquente depuis trois ans, seuls trois personnes consomment des
ecstasys.
Oscar, 21 ans : Il découvre le cannabis à 14 ans, va dealer un peu. Au lendemain
du bac, il cède à la pression de ses amis qui lui parlent du LSD et des ecstas, les
accompagne dans une rave, c'est la révélation et il consommera très souvent durant
un an et demi, le week-end en rave, la semaine en club. Il abandonne sa première
année de fac, puis une seconde année. Tout à coup c'est la prise de conscience,
l'arrêt brutal de la consommation qui débouche sur deux, trois mois de dépression,
mal appréhendée par un psychiatre ne connaissant pas le phénomène ectasy. Sept
mois après, il regobe et apprécie de nouveau le produit. Depuis, il maintient une
consommation occasionnelle, intelligente, gérée. Il travaille dans un média techno,
va reprendre des études de journalisme en alternance.61

2. Les premières prises
Il semble que, dans la majorité des cas, la première consommation d'ecstasy se
fasse dans le contexte d'une pression plus ou moins forte de connaissances ou
d'amis très proches. Les consommateurs appréciant le produit, tout au moins dans la
phase de découverte et de consommation récréative et festive, font la publicité de
l'ecstasy à leurs amis proches et les invitent à les accompagner en boîtes ou en
raves. Le novice va être initié par ses amis, va être accompagné et soutenu lors de
la première expérience. Très souvent, le premier ecstasy est offert et gobé par moitié
afin que la personne apprenne à sentir les effets et à les gérer : il faut bien respirer,
aller danser si on se sent mal ou stressé. La danse permet de canaliser positivement
l'effet excitant du produit. Généralement les habitués entourent et chouchoutent celui
qui découvre le produit pour la première fois ; les consignes de prévention sont
transmises, les recommandations courantes concernant le produit et ses
conséquences. Les consommateurs qui aiment gober ont envie de partager ce bien-
être avec leurs amis.
Parfois, les premières expériences se font dans un contexte de séduction : l'initiateur
espère obtenir, en échange de son cadeau, des compensations : "Il m'a donné ça
comme une hostie, un rite, sans que je le veuille, c'était un homme qui me draguait".
"C'est un amant qui me l'a offert". Les rencontres amoureuses ont donc pu aussi
jouer un rôle dans la diffusion de l'ecstasy.
Même lorsque l'expérimentation a lieu dans un cadre convivial, de fête, avec des
amis, des copains, le sujet se laisser tenter par l'expérience pour diverses raisons :
c'est la mode "pour faire comme tout le monde", ça fait branché, "il faut essayer pour
savoir" ; la curiosité est un élément déclencheur, d'autant plus que le discours des
consommateurs est positif et qu’ils sont détenteurs d’une image de réussite
(nombreux sont ceux qui ont un emploi et qui ont un niveau culturel et intellectuel
élevé) et de bien-être. L'ecstasy est un produit associé au plaisir et à la fête, à la
communion avec les autres, contrairement à l'héroïne qui a surtout une image
négative de plaisir solitaire, de repli sur soi, de délinquance.
De plus, il n'existe pas, sauf peut-être quelques discours alarmistes et mal reçus
dans le milieu de la fête ("l'ecstasy tue"), de discours de prévention. Personne ne
connaît encore suffisamment les conséquences psychologiques, sociales ou
physiques à long terme d'une consommation abusive d'ecstasy. La plupart des
consommateurs disent avoir essayé cette nouvelle substance pour l'expérience ou
faire la fête. Cependant, quelques individus utilisent l'ecstasy comme un palliatif à un
manque douloureux : "J'ai goûté la première fois pour pallier un manque affectif,
suite à une rupture". La consommation répond alors à un besoin, remplit une
fonction d'oubli, de soin, d'automédication. Lorsque l'ecstasy est chargé de soulager
une souffrance, pour des personnes fragilisées, il semble que l'ecstasy accentue le
malaise psychologique.
Un ancien consommateur explique qu'en 94 il y avait une très forte pression de son
entourage "il faut que tu goûtes". Aujourd'hui, "on laisse les gens en prendre ou non,
c'est banalisé, c'est venu dans les habitudes" . Cependant, nous avons pu observer
que les personnes abandonnant leur consommation d'ecstasy, abandonnent aussi62
très souvent leurs habitudes de sorties, ne fréquentant plus que très rarement les
clubs. "On fume tous les jours, pourquoi pas essayer un ecsta?" "Aller en boîte sans
gober, c'est dur"
Oscar : "Ah la première fois (en 93) c'est la révélation quoi, c'est "oh la la"... et
d'ailleurs même ça doit s'exprimer par le "oh la la"... moi, j'ai découvert l'ecstasy en
même temps que la techno quoi, mon premier ecstasy c'était dans ma première rave
et c'est vraiment la révélation genre "oh la la, qu'est ce que c'est bien, alors ça
existe, c'est comme ça le bonheur ?", vraiment la sensation de toucher le bonheur
absolu du doigt, une parfaite adéquation avec autrui, tu te sens bien avec tout le
monde... en fait le MDMA c'est un peu "the mask", c'est comme le film quoi, c'est un
masque qu'on se met et ça décuple sa personnalité, ça la change pas en fait, ça
l'accentue, ça l'exacerbe..."(...)"J'avais un ami que je connaissais depuis très peu de
temps, qui était dj, qui mixait dans cette party et qui avait des ecstasys et qui m'en a
donné un. Je pense que juste avant j'en avais déjà pris une fois genre un demi, mais
j'avais pas eu la révélation et là, j'en avais pris un en entier et j'ai eu la révélation,
genre le lendemain je suis allé me raser le crâne, j'ai ressorti mon treillis, mes
baskets et mes T-shirts de skateur que je mettais plus trop, c'était parti, ben du jour
au lendemain je suis parti tête baissée dedans quoi, mais vraiment tête baissée en
en faisant ma priorité numéro un"

3. Les évolutions des consommations
* La dépendance
Existe-t-il un phénomène de dépendance physique ou psychologique au produit
chez les consommateurs d'ecstasy ? "Je ne peux plus sortir sans gober" "ce qui est
bien avec l'ecsta c'est qu'on ne tombe pas accro, au moins ça c'est clair"... Les avis
des consommateurs sont contradictoires, les opinions évoluent peut-être avec les
phases de consommation. Chez les consommateurs intensifs on peut trouver à la
fois le déni de toute forme de dépendance, le moteur de la consommation étant la
recherche d'un plaisir renouvelé, en communion avec les autres... et la faculté de
reconnaître une certaine forme de dépendance "au départ c'était ça, t'attends toute
la semaine le samedi soir avec l'angoisse, en espérant en trouver". On nous a
parfois rapporté des situations vues comme dramatiques, pathologiques, où les
usagers consommaient quotidiennement plusieurs cachets, même sans sortir de
chez eux...
Hugues : "Disons que j'en prenais toujours un tu vois, un ou un et demi maximum,
mais parfois qu'un demi, mais... après ça en devient une habitude tu vois, et si tu
trouves pas ton ecsta tu vas prendre... tu vas acheter un gramme de coke, tu vas
acheter un acide ou deux, t'as envie de continuer à faire la fête tout le temps tu
vois...
- Et t'es arrivé à une période où tu faisais la fête tout le temps alors ?
- Ouais
- Tous les soirs ou quasiment ?63
- Pas tous les soirs, mais au moins, 4, 5 fois par semaine quoi, mais après les deux
autres jours je dormais parce que bon... où je déprimais ou je dormais tu vois...
j'allais plus bosser..."
Sandra : "Je pense pas qu’on peut être accro physiquement, mais c’est sûr qu’on
peut être accro psychologiquement parce que quand j’en ai pris pendant un mois, j’ai
bien vu le mois suivant dans quel état j’étais quoi et c’est pas... le corps il réagit pas,
je veux dire on n’est pas malade, mais par contre, dans la tête on est down, on est
vraiment déprimé, donc ça... enfin à mon avis, ça c’est être accro, mais en même
temps, moi j’ai vu des gens accro, mais ça a jamais duré, parce que moi, c’est ce
que j’ai constaté, j’ai vu des gens vraiment accros, prendre vraiment beaucoup à la
fois et souvent, mais en fait, ça a jamais duré, même s’ils ont un moment difficile, ça
passe quoi, j’ai jamais vu personne, enfin, tomber je sais pas, en avoir besoin
comme quelqu’un peut avoir d’héro, du crack ou de la cocaïne. J’ai vu des gens
vraiment accro à la cocaïne et là, franchement, c’était autre chose quoi, j’ai bien vu la
différence, je crois pas qu’on peut être accro, je crois que... enfin j’sais pas..."
* Le phénomène de tolérance et la qualité des produits
Nous avons été frappés par le nombre très important de personnes qui se disaient
déçues de la qualité des ecstasys, et cela quelque soit l'année de première
consommation. Aujourd'hui "c'est de la merde, il faut en gober 3 ou 4 pour ressentir
les mêmes effets"... Cette baisse des effets positifs ressentis amène beaucoup de
consommateurs à arrêter leur consommation ou à la réserver à des soirées
particulières. Ce constat des consommateurs nous amènent à poser la question d’un
éventuel phénomène de tolérance.
Thomas : "C'est trop bon quelque part comme produit mais le problème avec ce
produit, c'est qu'il faut un cachet le premier soir, le deuxième soir étant donné que
t'es fatigué, il en faut deux, il faut augmenter la dose n'importe comment, c'est
comme toute drogue, toute drogue, c'est pour ça que c'est bon de faire des breaks,
d'arrêter même ne serait-ce que deux, trois jours dans la semaine, quatre jours,
même une semaine, un mois, c'est génial ça d'arrêter...
- Parce que quand tu reprends, c'est...
- Tu montes au ciel directement, c'est un peu ça ouais, ça porte bien son nom, être
ecstasié..."
Sandra : "Le problème réel, c’est que j’augmente pas la fréquence, le nombre de fois
où je vais en prendre mais par contre j’augmente le nombre. Depuis trois ans, je suis
passée de... à mon avis, de un... de un, à deux, voire trois, pour le même temps et
avec des effets moindres, ça c’est sûr quoi, mais quand j’arrête vraiment plusieurs
mois, du coup ça me redescend aussi la quantité que je prends, ça c’est très
sensible (...) Je pense que ce phénomène d'augmentation des quantités c'est dû à
deux choses en fait, d'une part on sait qu'effectivement la tête malheureusement
s'habitue à tout ça et d'autre part au fait que la qualité des produits descend,
largement, ça c'est clair..."
"- Au niveau des quantités, en général, t’en prenais combien ?64
Oscar - Bé, bizarrement, moi j’ai pas connu d’escalade et toute la période où j’en ai
pris régulièrement, j’en prenais jamais plus de deux, c’était un, le premier et si la
soirée devait se continuer, c’était un demi et éventuellement un dernier demi mais
toute la période où j’en ai pris régulièrement, j’en ai jamais pris plus de deux et c’est
simplement après, quand j’en prenais très occasionnellement que deux, trois fois je
me suis amusé à en prendre trois ou quatre... mais bon, je pense pas que ce soit
représentatif de la consommation des autres personnes parce que je pense qu’il y a
assez rapidement une escalade, qui est évidente
- Ah bon ?
- Ouais, parce que, ouais, assez rapidement genre les six premiers mois, ça va être
un, les six mois d’après ça va être deux, trois quatre et moi j’ai été confronté à des
gens qui en prenaient jusqu’à 7, 8, 9, 10 par soirée quoi...
- Par soirée ?
- Ouais, facilement et là on atteint des sommets quoi"

4. Les conditions de prise de l'ecstasy
Consommer un ecstasy est simple, rapide, propre ; cela ne nécessite aucun outil, il
suffit d'avaler ce petit cachet en buvant une gorgée d'une boisson quelconque. Cette
facilité de prise propre à l'ecstasy représente une barrière de moins à franchir et
rend le produit plus accessible.
Les fumeurs de shit, lorsqu'ils gobent, fument du cannabis pour faire monter
l'ecstasy et prévoient toujours d'en avoir un peu pour atténuer la descente.
Globalement, il semble que l'alcool soit un produit très fortement associé à l'ecstasy,
alors que ce mélange est réputé assez nocif. Les jeunes clubbers (Stéphanie, Domi)
font trois ou quatre boîtes dans la nuit, toujours les mêmes, même durant la semaine
et gobent tout au long de la nuit, trois, quatre ecstas, en se partageant même des
bouts (ce couple obtient un ecsta lorsqu'il oriente au moins trois clients au dealer).
En descente, lorsque les personnes rentrent chez elles, certaines d'entre elles
prennent du lexomil pour trouver le sommeil. Un barman a déclaré avoir consommé
de l'ecstasy en petite quantité durant son service "comme si c'était une vitamine". En
général, l'ecstasy se consomme en groupe, jamais seul. La musique de prédilection,
qui permet de voyager dans sa tête ou de se dépenser en dansant est la musique
techno, les individus préférant tel ou tel courant plus ou moins rapide. Certaines
personnes ont déjà sniffé l'ecstasy après avoir écrasé le cachet ou parce qu'ils
avaient trouvé du MDMA pur en poudre (c'est assez rare) ; les uns disent que l'effet
est nul, d'autres apprécient car la montée est plus rapide.
Patrick : "Les drogues c'est pas un paradis artificiel, c'est juste pour le fun, c'est
ludique, on joue avec la tête, le corps"65
* Le déroulement des soirées
La notion de partage est très présente dans le milieu de la nuit, de la fête. Les
soirées débutent souvent au domicile d'une personne qui invite ses amis à venir, les
produits peuvent s'échanger, se partager, on peut gober des ecstasys ou des trips,
de la cocaïne avant de sortir en clubs. D'autres personnes sortent boire un verre
dans un bar avant d'aller en club. Très souvent les gens s'arrangent entre eux pour
trouver les produits et pour consommer avant l'entrée en boîte, à cause de la
répression au sein des établissements.
Oscar : "Quand t'as pris du spécial K... tu m'as dit que t'en avais pris combien de fois?
- Deux fois
- C'était... on te l'a filé ou tu l'as acheté ?
- Ouais, on me l'a filé
- Et l'opium ?
- Aussi, mais de toutes façons je crois que pour toutes les drogues que t'as là, les
premières fois, c'est offert, ouais, c'est le côté partage, surtout dans le milieu techno,
c'est souvent des gens qui se connaissent, souvent des amis et voilà "je vais te faire
découvrir un nouveau truc" ; ouais mon premier ecstasy on me l'a donné, mon
premier acide on me l'a donné, mon premier joint aussi, mon premier trait aussi,
ouais les premières fois on me les a toujours donné"
"- Est-ce que tu peux me raconter brièvement une rave party ou une de tes sorties,
par exemple, ta dernière sortie ? Tu peux m’en parler du début...
Oscar - Ouais, surtout que je pense que c’est représentatif des sorties de beaucoup
de gens actuellement qui ont un peu le même profil que moi... Bon alors, comment
ça s’est passé ? Disons qu’on s’est retrouvé vers 23 heures chez un ami qui vit dans
un grand appartement avec quatre, cinq personnes qui sont tous un peu impliqués
dans le milieu de la techno, que ce soit des dj, des journalistes, des gens qui
travaillent sur Internet ou comme ça et j’y suis allé avec mon ancienne copine, qui
est encore plus ou moins ma copine quoi, ça s’est particulier... et en arrivant, on
nous a proposé un demi ecstasy, comme ça, d’entrée, donc on l’a pris. Donc euh...
un demi ecstasy, euh, j’avais ramené une bouteille de vin blanc, ça a commencé à
monter, c’était bien, on avait deux, trois joints, on fumait des joints, on discutait, très
convivial, autour d’une table. Ensuite, y’a une amie d’un ami qui arrivait et qui nous a
gentiment proposé une ligne de coke, donc on a gentiment pris une ligne de coke...
- Vous étiez combien ?
- Bof, on devait être quatre avant qu’elle arrive. Une fois qu’elle est arrivée on était
cinq
- Et elle a proposé aux cinq ?
- Ouais, parce qu’il y a le côté convivial de la chose et voilà, c’est comme ça. Ouais,
parce que moi, on m’avait offert l’ecsta, on m’a offert la coke puis ça m’est arrivé
d’offrir... moi, j’ai toujours de l’herbe sur moi, je fais toujours tourner des gens
partout, c’est comme ça quoi parce que c’est des gens qu’on apprécie, c’est nos
amis quoi... et sais pas, on a dû rester jusque vers une heure, c’était un vendredi
soir, on est parti en club, je vais le citer, t’en feras ce que tu veux, c’était au B, y’a
une soirée prozac tracks qui est un label et des dj qu’on apprécie beaucoup, qu’on
connaît, c’est des amis aussi... on s’est retrouvé là bas, puis on a vraiment joué66
aux... ce qu’on appelle aux club kids, des gens très jeunes qui vont au club, on n’est
plus si jeune que ça, mais on se comporte un peu encore comme eux et en ce
moment, beaucoup de gens cherchent de l’ecsta dans les clubs. Y’en a de moins en
moins parce que la répression est de plus en plus forte et surtout au B, c’est blindé
de civils donc la plupart des gens évitent de vendre et il faut vraiment connaître pour
trouver et on était assailli de demandes et donc on a profité, on allait fournir deux
trois personnes qu’on connaissait et on en a profité pour se récupérer deux, trois
cachets gratuits et au bout du compte, je crois qu’on a eu six ecstasy pour cinquante
francs, ce qui est ridicule et donc on en a pris tout au long de la soirée, des quarts et
des demis... j’ai pas vraiment calculé mais je suppose qu’entre 23 heures et 6, 7
heures du matin, heure à laquelle on est parti on a dû en prendre deux, deux chacun
et ensuite on est rentré chez cet ami, on a repris un demi ou deux demi, sais pas et
y’avait deux acides qu’on a partagé à plusieurs et en fait, on a dû prendre un demi
acide chacun et en fait, on l’a pris à huit heures du matin mais vu qu’on avait pris
beaucoup d’ecstasy, c’est pas monté tout de suite ce qui fait que jusqu’à midi, on
était sous ecstasy alors qu’on avait déjà le LSD en soi et moi, c’est à une heure de
l’après-midi, au détour d’une taf sur un pétard, tout d’un coup je me suis retrouvé
sous trip quoi et c’est deux mondes totalement différents, l’ecstasy c’est le bien être,
ça speed et tout et là, tu te retrouves dans un appartement, j’étais allongé sur le dos,
tout d’un coup je fais “ ah le plafond, il est à la place du sol ”... et donc après de une
heure de l’après-midi à cinq heures de l’après-midi, j’étais sous trip quoi donc après
avoir passé 10 heures sous ecstasy, cinq heures sous trip, c’est un peu dur. Et puis
voilà...
- Et après, qu’est ce que t’as fait ?
- Dodo jusqu’à 11 heures et je suis rentré chez moi, je me suis couché et puis voilà...
et puis j’ai mis trois jours à m’en remettre et après je me suis fait la prise de
conscience habituelle “ oh la la, ce mois-ci, je suis sorti tous les soirs, j’ai gobé tous
les soirs, ok, j’arrête pendant deux mois ”
* Les consommations associées, notamment en descente
Une certaine frange de la population qui consomme des ecstasys, notamment ceux
qui gobent souvent et beaucoup sont amenés à expérimenter d'autres produits pour
diverses raisons : d'une part, ils connaissent mieux le milieu et leur cercle de
connaissances s'est élargi ; d'autre part, ils ont l'impression que l'ecstasy ne les
satisfait plus comme avant. C'est donc souvent sous ecstasy qu'ils vont expérimenter
de nouveaux produits, ou bien en descente, lorsque les effets s'estompent et que le
malaise s'installe. Il faut savoir que les effets des différents produits est différent
lorsque l'on est à jeun ou lorsque l'on est sous ecstasy ou en descente d'ecstasy.
Beaucoup ont rapporté avoir expérimenté le LSD, la cocaïne, le spécial K lorsqu'ils
étaient sous ecsta et sous alcool ; les effets des associations sont intéressants : les
usagers disent qu’un trip, sous ecsta, est bien plus gérable qu’à jeun ; certains effets
s'annulent lorsque les produits sont pris en même temps, mais se complètent
lorsqu'ils sont gobés à des moments espacés...
Certains polyconsommateurs semblent avoir une très bonne connaissance des
produits et des associations. La propriété de l'héroïne, en descente, est sa capacité
"magique" à effacer l'effet de tous les autres produits pris dans la nuit et à gommer
tous les symptômes du mal-être classique des lendemains d'abus. Il semble que la67
descente d'ecstasy, en association avec l'alcool, soit bien plus mauvaise que lorsque
ecstasy a été consommé seul.
L'inclination des consommateurs d'ecstasy à aller vers d'autres produits laisse
penser que l'ecstasy a été un facilitateur du passage cannabis/autres drogues et ce
pour diverses raisons : l'ecstasy bénéficie d'une bonne réputation parmi les usagers
(les anciens consommateurs ayant un discours négatif sur le produit ont tendance à
ne plus fréquenter le milieu). Nombreux sont ceux qui ne considèrent pas l'ecstasy
comme une drogue. L'ecstasy semble avoir banalisé l’image des autres drogues
expérimentées et utilisées dans le même cadre festif que l'ecstasy.
"- Et les drogues qui circulent plus dans le milieu de la nuit et qui sont le plus
présentes, le plus appréciées à l’heure actuelle ?
Thomas - Cocaïne, ecstasy.... trips...
- Trips ça tourne quand même ?
- Ca tourne quand même oui, ça revient, pendant des années ça a disparu, là je
trouve que ça revient, on en trouve quand même pas mal des trips et c’est vraiment
coke, ecsta, trips parce que c’est des drogues qui, comme je le disais tout à l’heure,
qui permettent d’aller vers la musique, d’aller vers les autres, l’héroïne non, héroïne,
crack, non... (..) et puis c'est vrai qu'aujourd'hui les X comme on les appelle sont
tellement faibles qu'il en faudrait un toutes les deux, trois heures pour...
- Pour sentir quelque chose...
- C'est pour ça que faire des mélanges permet de tenir plus longtemps... "
Hugues : "Avec l'ecsta, t'as toujours envie... t'as une envie de consommer, de tout
consommer tu vois, de dépenser, de boire... tu vois tout est à l'excès donc forcément
si t'es sous ecsta et qu'on te propose du lsd tu vas le prendre... t'es plus toi quoi,
quand tu prends de la coke t'es encore toi, tu sais ce que tu fais..."
"- Tu penses donc que le passage de l’ecsta vers d’autres drogues, il se situe surtout
à cause de la descente ou alors on en prend aussi...
Oscar : Non, puis pour... puis pour la découverte... moi je pense que par le biais de
l’ecstasy y’a toute une population de jeunes gens qui était pas prédisposée à la
toxicomanie, qui l’ont découverte parce que comme je te disais tout à l’heure, moi
avant de connaître le couple ecsta/techno on m’a proposé... on m’a proposé de
l’héro, on m’a proposé du LSD et ça m’avait pas tenté parce que j’étais un fumeur de
shit et que j’avais pas envie de toucher à une drogue dure, mais par le biais de
l’ecstasy, on découvre la défonce, on découvre la montée, on découvre le rush, on
découvre aussi la descente après et euh... et je pense que ouais, ça donne
carrément envie d’essayer d’autres choses. Ouais, moi j’ai essayé le LSD parce que
j’avais essayé l’ecstasy avant et j’ai essayé la cocaïne parce que... moi, j’ai toujours
été plus ou moins curieux... quoi la coke ouais, c’est un autre problème, j’avais
toujours voulu en goûter mais je pense que ça a amené beaucoup de gens à goûter
d’autres substances, totalement (...) En descente d'ecsta tu recherches toujours une
autre substance pour abréger la descente, donc ça peut être des médocs, ça peut
être un lexo, ça peut être... ça peut être plein de choses mais...
- Donc tu confirmes le fait que l'ecstasy est une porte vers d'autres produits pour
atténuer la descente ?
- Ouais, totalement... pour compenser la descente ou pour augmenter l'effet de la
montée... y'a pas mal de gens qui, sous ecstasy s'amusent à prendre de la coke68
alors qu'à la base, c'est pas intéressant quoi... il faut avoir beaucoup de chaque...
(...) C'est vrai que j'ai découvert toutes ces substances par le biais de l'ecstasy et de
la techno... parce que, avant de connaître l'ecstasy j'ai été confronté à deux trois
occasions à l'acide et à l'héroïne et j'avais refusé, mais bon, le couple techno/ecsta
te fait découvrir la magie de la drogue"
* L'alcool
Il semble que l'alcool soit davantage associé aux sorties en général, à l'esprit de la
fête et de la convivialité, certainement plus en clubs et en bars qu'en raves-parties.
L'alcool est une constante dans la culture française. Il est par voie de conséquence
très présent lors de prise d'ecstasy en clubs ou bars. Il est naturel de consommer
des boissons alcoolisées lorsque l'on sort le soir et ceux qui vont à contre courant
des normes en refusant de s'alcooliser lorsqu'ils gobent sont peu nombreux.
Certains ont déclaré boire davantage sous ecstasy et ne pas se sentir du tout ivre
alors qu'ils se souviennent avoir beaucoup bu. D'autres disent que la descente
d'ecsta est beaucoup plus difficile lorsqu'ils ont beaucoup bu d'alcool et ont pu se
plaindre de tremblements et de fièvre. D'autres, encore, en consommateurs avertis,
s'imposent de respecter les règles de prévention de base, veillent à ne pas trop
boire, ou même à ne pas associer alcool et ecstasy. Ce cas de figure semble plus
rare que le précédent.
"A Londres, la consommation d'ecstasy est normale, mais ils ont une discipline : jus
d'orange ou coca : En France, ils associent ecsta et alcool"
* Le cannabis
En ce qui concerne le cannabis, tout l'échantillon a expérimenté ce produit, mais
apprécie de manière diverse de le fumer : 7 n'ont pas fumé le mois précédent, 11
fument à l'occasion mais n'en achètent en général pas, 9 fument régulièrement (10 à
25 fois par mois) tandis que quatorze personnes rencontrées fument
quotidiennement, de un à plusieurs joints par jour. Parmi ces fumeurs quotidiens,
seuls six personnes ont consommé plus de cent fois des ecstasys. A l'inverse, parmi
les personnes fumant peu, on peut trouver des consommateurs intensifs d'ecstasy.
Nous demandions aux usagers d'ecstasy de raconter leur dernière prise et de
rapporter les consommations associées. Parmi les 41 usagers, 25 disent avoir fumé
du shit durant la soirée ; les gros fumeurs semblent augmenter leur consommation
de shit lors de la prise d'ecstasy, ils utilisent le joint pour faire monter le produit
lorsqu'ils le gobent. Mais ils semblent surtout le consommer pour atténuer la
descente, après une nuit de fête. Certains fument, avant, pendant et après l'effet du
cachet, mais ce sont plutôt les consommateurs réguliers de cannabis qui utilisent le
cannabis avec l'ecstasy. Plus d'un tiers des personnes n'a pas fumé de shit ou
d'herbe lors de la dernière prise d'ecstasy.
* Le LSD
Vingt huit personnes parmi 41 ont expérimenté le LSD en buvard qui s'avale en
buvant un verre. Parmi elles, un certain nombre n'avaient eu qu'une expérience
unique et n'appréciaient pas ce produit, d'autres (une dizaine) en ont pris une à 5
fois dans le mois précédent. C'est un produit considéré dans le milieu comme “ fort ”.
Les individus en disent soit du bien, soit du mal, évoquant alors une certaine peur de
la perte de contrôle de soi et des hallucinations. Les trips sont beaucoup plus
présents sur la scène des raves party mais semblent se répandre dans les clubs,
c'est un produit facile à transporter, à dealer, à gober et peu cher alors qu'il
"défonce" bien. Il est particulièrement prisé chez ceux qui apprécient la modification
de l'état de conscience et des perceptions, effets peu présents avec l'ecstasy. Le trip
fait-il son apparition dans les clubs, entre autres, par l'intermédiaire de ravers qui
sortent en boîte la semaine ? Un couple de jeunes consommateurs appréciant les
“ sandwichs ” (gober en même temps deux trips entourant un ecsta) nous a dit avoir
quitté un club pour aller acheter des trips en rave et revenir faire la fête en club avec
les trips.
Oscar : "Je pense que la cocaïne et l’ecstasy sont comparables, quelque part parce
que c’est des drogues qui boustent, qui speedent... on va rajouter le speed aussi
alors et après y’a... y’a les hallucinogènes comme le LSD, il peut y avoir... par
exemple y’a une barrière énorme entre l’ecstasy et le LSD parce que on peut dire
que n’importe qui va apprécier un ecstasy, je pense que 99 % des gens vont aimer
un ecstasy parce que, parce que c’est la drogue du bonheur, ça bloque les synapses
des neurones, ça permet de voir tout en rose pendant six heures, c’est la propriété
de la molécule, donc quelque soit la personne elle va certainement apprécier,
maintenant, le LSD, ça nécessite de se laisser partir, de se laisser conduire par une
substance, de... ça permet d’avoir accès à des parties du cerveau qu’on n’utilise pas
normalement, c’est une autre dimension, c’est d’autre sensation, c’est un autre
toucher, c’est la perte du réel qui existe pas avec l’ecstasy parce qu’avec l’ecstasy,
on est heureux, on a la pêche, on se sent bien et tout mais bon, y’a d’hallucinations
sonores, y’a pas d’hallucinations visuelles, j’aurais tendance à dire l’ecstasy c’est
une drogue facile, le LSD c’est une drogue nettement plus difficile"
Oscar : "Normalement quand on est très extasié, un trip ça fait pas vraiment l’effet
d’un trip, ça fait un mélange et je me faisais... je savais à peu près ce que ça devait
faire et puis ça a pas fait ça au résultat, donc j’ai été surpris et j’ai pas du tout
apprécié le LSD, mais à la base, ça aurait dû très bien se passer, non mais de toutes
façons, en général je refuse. L’autre jour, on en a jeté un...
- Tu refuses quand même ?
- Ouais, ah oui ça m’est arrivé souvent de refuser"
* La Cocaïne
Les personnes ayant expérimenté au moins une fois la cocaïne sont un peu plus
nombreuses que celles qui disent avoir goûté du LSD (33 contre 28). Lors de la
dernière prise d'ecstasy, quatre personnes ont sniffé de la cocaïne, trois ont pris de
l'héro (les toxicomanes), une a sniffé du spécial K, une du speed, et une du cristal,
produit commençant à apparaître à Paris. Plusieurs personnes ont déclaré que la
cocaïne annule les effets de l'ecstasy et vice versa. D’autres, plus rares (prix élevé
de la cocaïne), utilisent ces deux produits afin d'augmenter leur état de bien-être,70
alliant les phases d'énergie de la coke avec le côté planant et plus doux de l'ecstasy.
Parmi les personnes ayant eu un contact avec la cocaïne, beaucoup n'ont fait que
l’expérimenter ou ont profité d'une occasion (le produit leur était proposé
gracieusement). Il semble que ce produit soit assez présent, il s'offre ou s'échange
assez facilement, mais surtout dans des cercles privilégiés. Plusieurs personnes
connaissant le milieu de la nuit depuis des années, ont émis l'hypothèse d'un
passage de l'ecstasy vers la cocaïne : ce dernier produit reviendrait en force depuis
quelques années. Selon certains, l'ecstasy est un produit dont on se lasse, qui est
passé de mode, ce n'est plus branché de gober, c'est plutôt "beauf".
Oscar : "- Et donc, parle moi un petit peu de la cocaïne, parce que tu me disais que
c’était quand même un phénomène qui se développait, la prise de cocaïne ?
- Bé c’est... c’est le même genre de consommation récréative qu’avec l’ecstasy mais
c’est que le samedi soir au lieu d’avaler un ecsta avant de partir en club, on se fait
deux, trois lignes et puis si dans le club c’est pas trop risqué, on va s’en faire deux,
trois dans les toilettes pendant la soirée et... je pense pas au niveau des raves, et
des raveurs, je serais pas capable de dire et je pense pas, mais au niveau, dans un
milieu très parisien qui doit, j'sais pas, concerner entre 500 et 2 000 personnes, c’est
en train de remplacer l’ecstasy mais c’est encore...
- Comment ça se passe au niveau du deal ? Comment on peut se fournir ?
- Bé y’a l’équivalent du dealer d’ecstasy de plus en plus en club et c’est aussi bien
souvent des gens qui consomment et qui en revendent un peu pour consommer
gratuitement mais bon, ça explose pas vraiment parce que les tarifs sont tels que
très peu de gens ont les moyens de vraiment se défoncer à la coke c’est pour ça
c’est un peu... à mon avis, ce sera jamais populaire en France parce que le prix est
trop élevé"
* La place de l'héroïne dans cet échantillon
Quatre héroïnomanes actuels ont participé à l'étude :
Corinne, 24 ans a goûté une fois en rave party à l'ecstasy, elle n'aime pas ce
produit, s'en méfie, tout comme le milieu d'héroïnomanes qu'elle connaît.
Philippe, 32 ans, après une période de toxicomanie lourde, a stoppé l'héroïne et a
découvert l'ecstasy. Il a connu une période de forte consommation et de sorties en
boîte, mais en a eu assez et a tout arrêté ; il consomme de nouveau de l'héroïne
depuis quelques mois.
Benoît, 28 ans, sous méthadone depuis trois ans, se fait des extras d'héro de temps
en temps, avait découvert les ecstasys avant l'héro et depuis quelques temps se
remet aux ecstasys (5,6 par semaine). Il cumule tous les produits, à l'occasion. A
peur de devenir alcoolique.
Walou, 20 ans, a découvert l'ecsta en rave puis en boîte, a consommé énormément
pendant deux ans, en a eu marre, est passé à la coke puis à l'héro, est dépendant
de ce produit depuis un an et demi, est passé au shoot, a laissé tombé les ecstasy.
Parmi 41 individus, 18 ont eu un contact avec l'héroïne : quatre sont toxicomanes
actuellement (20 ans, 24, 28, 32) ; trois ont été toxicomanes dans leur passé
(Thomas 38 ans, Patricia 28, Olivier 26) ; trois ont consommé moins de huit mois, en71
sniff, mais ont arrêté (Bina 21 ans, Stéphanie 21, Patrick 24) ; six ont expérimenté
l'héroïne, de une à sept fois (32 ans, 34, 34, 42, 29, 21) ; deux sont consommateurs,
usagers occasionnels (Solange 22 ans, Luc 25).
La majorité de ces personnes ont expérimenté le cannabis très tôt (12 ont
commencé avant 15 ans) et ont découvert l'héroïne après l'ecstasy (12 personnes).
L'héroïne a pu être offerte et goûtée en after, elle permet aux consommateurs
d'effacer l'effet de tous les autres produits consommés dans la nuit. Elle procure un
bien-être décrit comme extraordinaire et qui annihile tous les effets désagréables liés
à la descente d'ecstasy. L'héroïne conserve pourtant son image de drogue dure.
Cette consommation, dans le milieu de la nuit, reste cachée.
Oscar 21 ans, a sniffé deux fois de l'héroïne :
"Quelqu'un qui a pris un sniff d'héroïne, moi je le détecte, ça se voit à 10 kms.... je ne
sais pas si tu seras amenée à rencontrer ce genre de gens, mais dans le milieu de la
techno... y'a pas mal de gens qui, par l'intermédiaire du speed-ball, donc le mélange
coke/héro, ont eu tendance à tomber dans l'héro parce que le partage coke/héro,
y'avait de plus en plus d'héro dans leur mélange et petit à petit y'en a pas mal qui se
sont accrochés à l'héro comme ça.... y'a aussi une forte recrudescence de
consommation d'héroïne chez les jeunes... je crois qu'il y a un gros retour sur
l'héroïne, surtout chez les jeunes gens comme moi
- Tu en connais toi ?
- Ouais, moi je connais pas mal de gens qui sont dedans, ouais total, qui prennent
de l'héro en sniff, ouais, totalement ouais, mais je pense que tu seras amenée à en
rencontrer dans le milieu techno quoi, mais y'en a aussi pas mal qui ont connu la
substance en descente parce qu'en descente d'ecsta on cherche toujours autre...
Ah, j'ai oublié l'opium, extraordinaire ! (rires) C'est tout récent... Bé justement par
exemple ça, c'est le genre de substances que tu peux être amené à rencontrer à
cause, entre guillemets, de ta consommation d'ecstasy parce qu'en descente
d'ecsta, tu recherches toujours une autre substance pour abréger la descente..."72
* Les autres produits : champignons, speed, special K (kétamine), cristal,
opium...

La majorité des gens de la nuit aiment la fête, consomment des produits pour
accentuer la fête, acceptent volontiers d'expérimenter de nouvelles drogues. Dans
notre échantillon de 41 personnes, 9 personnes déclarent avoir consommé des
champignons hallucinogènes ; 11 personnes ont expérimenté, ont fumé durant une à
plusieurs nuits, le crack, le caillou ou la free-base ; 7 personnes ont consommé du
spécial K (ou kétamine, poudre blanche), 6 du speed, 4 des micro-pointes (LSD), 3
ont sniffé du cristal (poudre blanche). A part le crack et les champignons, il semble
que les autres produits soient rarement consommés seuls, mais accompagnent ou
suivent la prise d'ecstasy, principalement en descente, dans des afters privées ou
des afters en boîte. Quelques personnes ont expérimenté des médicaments,
d'autres ont consommé des coupe-faims tels que le dinintel.
Oscar : "Le trafic de spécial K il est amené à exploser parce que là, en Angleterre,
l'ecstasy est en train d'être remplacée par le spécial K quoi, dans six mois on peut se
dire que ce sera la même chose à Paris, et y'a déjà certaines personnes du milieu
techno qui ont accès au spécial K et qui commencent à en prendre régulièrement"

5. Les différents profils rencontrés
Il serait prématuré d'évaluer l'importance respective des différents groupes
rencontrés : les curieux qui abandonnent la consommation après une ou quelques
rares prises ; les occasionnels qui gobent sans grand intérêt au gré des
circonstances ; les consommateurs modérés qui gèrent une consommation d’allure
occasionnelle, mais prolongée dans le temps ; les consommateurs intensifs qui
découvrent le produit, sont séduits et en consomment en toute insouciance pendant
un à trois ans ; les polyconsommateurs qui associent tous les produits ; les
consommateurs en souffrance qui utilisent l'ecstasy comme une automédication ; les
consommateurs, enfin, qui semblent être en train de réduire ou d'arrêter leur
consommation. Nous aborderons ici plus en détail le consommateur modéré et le
consommateur intensif.
* Le consommateur modéré recherchant le plaisir dans un cadre festif
Le consommateur maîtrisant sa consommation peut avoir eu une période de
consommation intensive, avec les conséquences négatives que cela implique.
Parfois, ce consommateur a maintenu une consommation depuis plusieurs années
et connaît les réseaux où l'on peut trouver du MDMA pur. Il ne consomme que
lorsqu'il a la certitude que les cachets d'ecstasy contiennent une grande partie de
pur MDMA. Il préfère se priver que de gober n'importe quoi. Ce groupe de
consommateurs met en place toute une série de précautions qui les amènent à une
consommation raisonnée.
Oscar : " Parce que moi, directement, je suis vraiment parti dans le délire très
rapidement, mais bon y’a des gens aussi qui ont très bien réussi à doser leur73
consommation et qui depuis peut-être cinq ans vont en rave une fois tous les mois et
gobent une fois tous les trois mois et ils ont jamais eu de problèmes, ils ont pas
connu de période de déprime, ils ont jamais eu à avoir un regard sur eux mêmes et à
se dire ; “ oh la la, qu’est ce que je fais ? ” parce qu’ils ont bien géré, ils ont bien
réussi à mixer études et défonce..."
Sandra : "En Angleterre j'ai acheté un testeur d'ecstasy et j'achète jamais sans avoir
testé... Je m’en sers systématiquement, enfin j’achète jamais dehors, j’achète jamais
sur place, j’achète toujours de proches en proches, auprès de gens que je connais et
quand j’achète, en général j’en achète dix et pas deux... je les garde, ça se garde au
frigo l’ecstasy, c’est très simple et donc avant de les acheter, systématiquement je
les teste et si ça marche pas, je laisse tomber. Mais le simple fait que j’ai le testeur,
déjà ça limite beaucoup ce qu’on essaye de me refiler..."
"- Parce que sur dix ans, t'as quand même eu des périodes où t'as beaucoup
consommé
Thomas - Et des périodes où j’ai pas du tout consommé... ça dépend de ce qui m’est
proposé pour faire la fête, comme je disais je prends pas de défonce pour forcément
oublier, je prends de la défonce pour faire la fête, donc s’il y a pas de fête à faire je
vais pas... je me défonce pas... je vais pas m’amuser à me défoncer pour me
défoncer, ça m’amuse pas... j’ai trop connu ça avec l’héroïne, se défoncer pour se
défoncer alors qu’aujourd’hui, y’a des produits qui sont là et qui me permettre
justement de pouvoir vivre une vie sociale, entre guillemets et de pouvoir aussi,
quand j’ai envie de faire la fête, de faire la fête..."
Oscar : " J'sais pas, l’héroïne ça va être un autre délire encore parce que je pense
que ça va être selon chacun mais moi je sais que ça a tendance à me faire piquer du
nez et par exemple piquer du nez dans une soirée ça m’intéresse pas quoi et vu que
ça m’intéresse pas de me droguer chez moi parce que j’ai toujours eu un rapport très
récréatif, de toutes façons, je me suis toujours drogué quand j’avais la pêche, je me
suis jamais drogué quand j’allais pas bien et ça a toujours été un rapport ludique,
c’est parce que je vais bien, j’ai envie d’aller encore mieux et de péter les plombs et
de délirer avec mes copains, ça a toujours été ça..."
Nous avons tenté de recenser une liste de précautions prises par les
consommateurs, certains s'imposant des règles de consommation strictes en vue
de retirer le meilleur bénéfice du produit, d'autres respectant une ou deux consignes
alors que leur consommation semble par ailleurs peu raisonnée. "Il faut être
prudent". Tout le monde est d'accord, mais ce propos n'a pas les mêmes
significations selon les personnes : certaines, assez rares, font un réel effort pour ne
pas boire trop d'alcool durant la prise d'ecstasy, d'autres gobent moitié par moitié et
refusent d'aller plus loin qu'un ou deux ecstas par nuit et, de même, refusent de
consommer d'autres produits psychotropes. Certaines personnes ne sortent que si
elles sont bien accompagnées par des gens les connaissant et pouvant assurer en
cas de malaise ; on peut aussi s'imposer de ne pas gober deux soirées de suite, ou
deux week-ends de suite, ou choisir de faire un break plus ou moins long (une
semaine à plusieurs mois) afin de réapprendre à être "normal", à apprécier les
choses simples, et puis à retrouver un plaisir certain lors de la reprise de la
consommation. Certaines personnes réservent la prise d'ecstasy à des soirées
exceptionnelles et cherchent à gober des bons produits, achetés longtemps à74
l'avance et conservés au frais dans un frigidaire. Beaucoup de personnes ne gobent
surtout pas si elles ont le cafard. Si on initie un ami, il faut rester avec lui toute la
soirée, l'accompagner, lui parler. Les consommateurs avertis et appréciant le
cannabis prévoient toujours d'en avoir pour adoucir la descente.
* Le consommateur intensif d'ecstasy
Nous avons pu observer plusieurs groupes de consommateurs intensifs : ceux qui
découvraient le produit et qui semblaient être dans une phase de lune de miel, de
plaisir, de fête ; ceux qui avaient découvert l'ecstasy il y a plusieurs années et qui,
insatisfaits du produit, l'associaient avec d'autres, notamment la cocaïne et le LSD,
en sus de l'alcool et du cannabis ; un troisième groupe, enfin : ce sont les
consommateurs qui semblent chercher un palliatif, une “ défonce ” . L'ecstasy, pour
eux, semble avoir la dimension d’une automédication. Ces personnes, peu
nombreuses dans le groupe rencontré (3) sont en grande souffrance.
* Les conséquences sociales de la consommation abusive
Nombreux sont les consommateurs occasionnels, maîtrisant leur usage de produits
et maintenant des relations sociales, affectives, familiales et professionnelles
équilibrées et satisfaisantes. Certains, par contre, ont pu connaître des périodes
d'endettements, des ruptures sentimentales, des difficultés professionnelles et
familiales dans le contexte d’une consommation intensive d'ecstasy. Bon nombre de
clubbers sont des étudiants : certains continuent leurs études, d'autres abandonnent
leur année de fac.
Oscar : "Très rapidement j'ai zappé mon année d'histoire et pendant un an ça était
l'inconscience totale, vraiment enthousiasmé par la substance... l'année d'après j'ai
fait une première année d'anglais que j'ai zappé au bout de 15 jours et tout d'un
coup, au bout d'un an et demi de consommation... une grosse prise de conscience :
"oh la la, qu'est ce que j'ai fait de mes deux années de Fac ? Où je suis ? Qu'est ce
que je fais ? J'ai zappé deux premières années... Je me suis foutu en l'air, je suis
une merde, c'est fini, je suis bon à jeter..." j'ai fait une déprime, une dépression de...
j'sais pas, vraiment une déprime de 15 jours où j'avais des angoisses, des idées...
j'sais pas, j'étais mono-maniaque, je stressais toujours sur la même choses genre...
qu'est ce que  je  vais faire de ma vie ? J'ai vu un psy qui m'a prescrit un
antidépresseur, le stablon, et pendant, deux, trois mois j'ai pris cet anti-dépresseur.
J'étais complètement largué surtout que tous les amis avec qui j'avais découvert le
truc, eux continuaient..."
Hugues : "Après oui, à la fin, au point de vue financier c'était un peu plus difficile...
difficile parce que je gérais plus du tout ma vie... comment dire, je payais plus mes
factures, je payais plus mon loyer, tu vois, ça devenait n'importe quoi
- Et alors, comment ça s'est terminé ?75
- Ca s'est mal terminé... parce que j'ai dû régler tout ce que je devais à tout le
monde, les factures et touti counti, je me suis fait licencier de mon boulot, j'y étais
depuis cinq ans...
- T'as été licencié pour faute professionnelle, absence... ?
- Ouais, non ouverture de magasin... j'étais directeur de la boutique (...) je devais
ouvrir à 10 heures, j'arrivais à midi, quand j'arrivais... (...) sur le coup j'en n'étais pas
conscient, je m'en foutais, je m'amusais tu vois, ma paye passait là dedans... après
t'es... il faut pas oublier un aspect important là dedans, c'est que tu vas sortir avec
sur toi mille balles, mais tu vas offrir des verres à tout le monde, tu vois l'ecsta,
t'hésites jamais à retourner au distributeur dix fois dans la soirée pour chercher des
sous..."
Oscar : "- Et toi, comment t’as fait... Par rapport à toutes tes consommations, est-ce
que tu as... Est-ce que ça a provoqué chez toi des actes de délinquance ou pas ?
- Non... bé si, parce que le deal, c’est de la délinquance
- Oui... c’était pas du vol ou des arnaques...
- Non, ça a jamais été nécessaire... à une période effectivement, je vendais de
l’herbe, avec le bénéf de l’herbe je m’achetais autre chose mais sinon, je pense que
pour la plupart des gens, ça a toujours été le petit deal, on a toujours payé son ecsta
en en revendant"

6. Le regard des consommateurs sur l'ecstasy
D’une façon très globale, le discours des usagers sur l’ecstasy semble tout à fait
contradictoire et ceci d’autant plus que la perception que peuvent en avoir les
usagers dépend d’abord des expériences qu’ils ont pu avoir avec le produit. Nous
avons entendu tout et son contraire, au sujet des effets, de la sexualité, des
consommations associées...
Oscar : "C'est certainement l’une des substances les plus traîtres quoi... bé ouais,
parce qu’à la base, on n’a vraiment pas l’impression d’être confronté à une drogue
quoi et la plupart des gens qui l’ont découvert jusqu’à maintenant, quand ils le
découvrent, c’est dans une totale insouciance et ils savent pas ce qu’ils font quoi et
même la forme de la chose, la façon de la prendre, y’a pas tout le côté toxicomanie
qu’on trouve lié à l’héroïne et à la seringue, à la cocaïne et à la paille, c’était une
nouvelle génération, c’était un médicament quoi et puis au début, on a tellement
l’impression de se faire du bien, parce que le côté lourd de la descente, il apparaît au
bout de quelques temps, au bout de six mois de consommation régulière parce que
sinon, au début, une descente ça se gère très bien quand on est entre amis, on est
tous dans le même état et puis ça se termine par l’endormissement..."76
* Les effets positifs à court terme
Pour les usagers, les effets du produit dépendent :
(Des circonstances (être bien accompagné ou pas .
-De l'état d'esprit de la personne (quand on est mal, l'ecsta peut accentuer ce mal .
être)
De la qualité du produit (les cachets peuvent être coupés à différents degrés et .
produits)
(De l'ancienneté de la consommation (effet de tolérance .
(...Des consommations associées (alcool, cannabis, trip, coke, etc .
Les consommateurs rapportent des effets de bien-être physique et mental très
profond et pouvant être la meilleure publicité auprès des novices : l'ecstasy décuple
toutes les sensations, c'est la pilule de l'Amour avec un grand A, la pilule du
bonheur, elle a un côté magique, elle permet la fusion avec la musique, sur l'instant
"c'est très très bon" et il n'est pas difficile de gérer cette consommation (sauf si l'on a
des graves problèmes de santé).
Discours d'un consommateur récent (96) et occasionnel (20 soirées en clubs) (notes
prises lors de la passation du questionnaire) :
L'ecstasy lui fait du bien, elle a une vertu antidépressive à moyen terme, elle crée
des états d'euphorie. Le moment le plus agréable c'est la montée, c'est un produit
qu'il maîtrise, pas de dépendance, pas de perte de maîtrise de soi. Au début, lors
des premières prises il a connu une déprime de deux jours, mais très vite a compris
le phénomène et gère très bien la descente. C'est très bon de faire l'amour en
descente d'ecsta, c'est hyper sensuel. Il cherche la béatitude et non la défonce ou
l'énergie. Pris raisonnablement, l'ecstasy permet de se libérer, de rencontrer
énormément de gens, le rend moins timide.
Hugues : "Tu sais, je crois que tout le monde a dû te dire la même chose : bien-être,
facilité de communiquer avec les gens, se sentir au dessus de tout le monde, nager
un peu tu vois, être bien quoi... c'est assez difficile à expliquer mais tu te sens bien,
t'en veux à personne, tu trouves tout le monde formidable, t'as envie de... t'es assez
tactile avec les gens, (...) tu te sens câlin et puis en plus t'as une pêche d'enfer pour
danser quoi..."
* Les effets négatifs à court, moyen et long terme
Il semble que l'ecstasy ait rarement des effets négatifs à court terme, ce qui
encourage les consommateurs à poursuivre leur pratique. Rares sont ceux qui ont
rapporté une mauvaise première expérience, elle concernait surtout des personnes
ayant beaucoup bu en même temps. Par contre, beaucoup de consommateurs ont
eu une ou plusieurs mauvaises expériences, dans le sens où le produit ne leur a fait
aucun effet ou a provoqué des malaises physiques ou psychologiques plus ou moins
graves : ils sont restés prostrés toute la nuit, ressassant des idées noires ; ils ont pu
avoir un accès de folie avec tentative de se jeter sous une voiture, des
tremblements... ils attribuent ces phénomènes à la mauvaise qualité des produits.
On nous a parlé plusieurs fois de cachets appelés "dollars" qui auraient été coupés à
l'héroïne et qui cassaient les jambes au lieu de stimuler pour la danse.77
Les conséquences négatives citées par les individus sont innombrables. Elles
peuvent être tout autant physiques que psychologiques: agressivité, changement de
comportement, crise d'angoisse, de paranoïa, difficulté à gérer, maux de dents, de
ventre, appétit perturbé, perte de poids, sommeil perturbé, nausées, bégaiement,
perte de mémoire, état de confusion, déprime, dépression, grande fatigue, désintérêt
pour le quotidien, arrêts de travail pouvant être plus ou moins fréquents, oubli des
trithérapie, diminution de l'immunité, perturbation de la sexualité, perte de contrôle,
irritabilité, prise de risque, santé globalement plus faible, perte de confiance en soi,
jaunisse, problèmes de foie...
Hugues : "Non, le lendemain ça allait puisque j'ai dormi, c'est le surlendemain où ça
va rarement bien quoi... encore la première fois tu t'en rends pas trop compte, c'est
après que tu fais des coups de déprime mais je crois que plus tu consommes, plus tu
vois ça... parce que le mec qui va prendre pour la première fois un ecsta, il le verra
pas, il le sentira pas ça tu vois, je crois que c'est justement ça l'effet pervers de la
chose, c'est que tu... si t'en prends pendant un an ou deux ans, même si c'est que le
week-end, psychologiquement tu le ressens..."
Oscar : "Y’a des manifestations physiques évidentes quoi, y’a eu pas mal de gens
qui ont eu des problèmes au niveau du foie, des histoires de jaunisse, euh... y’a eu
des problèmes d’ulcères... des problèmes d'acné... chez les filles ça fait un très
mauvais effet avec la pilule donc y’en avait... c’est marrant parce que j’avais deux
trois copines qui avaient arrêté l’ecstasy, j’en avais une ou deux qui avaient arrêté la
pilule (rires)...
- Au niveau de l’ouïe, est-ce qu’il y a des problèmes auditifs?
- Ouais, je pense que... ouais ouais, tous les raveurs ont dû un jour danser trop
proches d’une enceinte, quand on est sous ecstasy on peut facilement danser la tête
dans une enceinte et plus on est près du son et plus c’est agréable, mais les oreilles
encaissent pas et justement, en Allemagne ou en Suisse où ils ont une approche
tellement plus pragmatique, y’a des boules kyes, dans toutes les raves (...)
- Est-ce que toi, tu as connu des problèmes de santé et que tu penses directement
liés à l’ecsta ?
- Ouais, au niveau de la dépression ouais... ah ouais, c’est totalement lié, c’est pour
ça je pense que c’est l’ecsta qui a été un déclencheur et si ça s’était pas passé
comme ça, ça se serait passé plus tard dans d’autres circonstances et tout mais en
l'occurrence, c’est l’ecstasy c’est clair parce que.... de toutes façons, c’est dur à
gérer pour tout le monde, quand on a touché le bonheur du doigt comme ça c’est
comme... j'sais pas, toi qui connaît bien les héroïnomanes, j’ai discuté avec l’un ou
l’autre, ils m’ont dit : “ si t’as à faire à une très bonne héroïne, même en sniff, en une
semaine tu peux mettre ta vie en l’air parce que le bonheur que t’auras connu avec,
tu ne le reconnaîtras jamais et t’auras toujours une part de dépression en toi et une
part de frustration je crois ” et je crois que c’est valable pour n’importe quelle drogue
quoi, plus elle est forte, plus c’est dangereux, mais euh... je pense qu’y a personne...
n’importe quelle personne qui a gobé régulièrement pendant un certain laps de
temps, il aura... il aura pas un discours désinvolte, dire “ voilà c’est fini, j’ai gobé ” il
s’en souvient quoi, il sait ce que c’est quoi, il a touché le bonheur du doigt et il sait
que c’est pas possible de vivre quotidiennement, qu’on peut pas vivre comme ça,
mais on en a tous envie je crois..."78
Oscar : "y’a une période après avoir arrêté, des problèmes de concentration aussi,
mais bon, vu que je fumais, que je fume quotidiennement aussi, ça joue aussi
beaucoup donc je sais pas... mais c’est clair ouais, des problèmes de concentration,
de mémoire... bon, c’est pas des black out ou des gros trous quoi, c’est zapper sur
un mot, on se souvient plus d’un mot... j’étais plutôt hyper somniaque
qu’insomniaque..."

7. La sexualité
Les questions relatives au VIH ont généralement été abordées spontanément par les
sujets rencontrés. Quelques personnes, notamment des homosexuels consommant
beaucoup de produits, ont déclaré spontanément être séropositifs et connaître
beaucoup de consommateurs séropositifs. Deux ont fait été de leur trithérapie
personnelle: coke, ecsta, trip. Pour ces derniers, la prise de produits est ce qui leur
permet de se maintenir performants : “ C’est ce qui me permet de tenir debout ”.
Hugues : "Ils sont séropos tous les deux... ils suivent tous les deux des traitements
tu vois et bon, à mon avis c'est pas par hasard non plus s'ils se défoncent, c'est
peut-être le moyen de s'échapper de tout ça, tu vois, des traitements, de tout ce qui
va autour du sida"
En ce qui concerne la prise de risque au niveau de la sexualité, la grande majorité
des consommateurs d'ecstasy déclarent ne pas avoir de relations sexuelles à risque
sous ecstasy, d'une part parce que l'ecstasy n'augmente pas le désir sexuel
proprement dit, d'autre part parce que l'ecstasy ne provoque pas une réelle perte de
conscience... Cependant, nous avons entendu d'autres échos, notamment chez les
consommateurs absorbant beaucoup d'alcool avec l'ecstasy et qui font été de prises
de risques. Luc attribue sa contamination à la prise abusive d'ecstasy alors qu’il
vivait en couple avec un dealer d'ecstasy qui était séropositif. Généralement les
sujets se sentent bien impliquées dans les attitudes de protection et attribuent aux
personnes -et non pas au produit- la responsabilité de la prise de risques.
" Ma question c’était : est-ce que tu penses que l’ecstasy et les autres drogues,
puisque tu connais un peu toutes les drogues, ont fait prendre des risques et ont été
la cause de contamination de maladies sexuellement transmissibles ?
Thomas - Je dirais que ça a aidé peut-être à développer le sida, mais au départ la
personne, si déjà dans sa tête elle a le choix d’attraper le sida, parce qu’il y a plein
de gens quand tu leur parles dans le milieu homosexuel par exemple, y’a plein de
gens qui s’en foutent du sida, parce qu’on a vu tellement de copains partir, parce
que y’a une crise sociale tellement importante en France, que le sida c’est un peu
une... je dirais une voie de garage entre guillemets donc la drogue peut peut-être
permettre d’aller... de faire une contamination plus importante, mais c’est pas la
drogue, c’est la tête avant tout, je crois que la drogue aide à passer à l’acte, mais au
départ, non, non..."
- Et une pilule sexuelle...
- Non, puisqu’aujourd’hui je dirais que depuis quelques années l’ecstasy, n’importe
comment, t’as énormément de mal, pour un homme, à bander entre guillemets hein,
et ça c’est clair que l’érection masculine aujourd’hui avec l’ecstasy elle existe plus79
hein, je sais pas pour la femme comment ça se passe, mais pour l’homme
aujourd’hui c’est impossible"
Oscar "- Et alors, au niveau du mythe de la pilule de l’amour, qu’est-ce que tu
pourrais en dire, par rapport à ça, à la sexualité ?
- Bé, que c’est vrai... déjà... on va déjà parler au niveau des sentiments et du bien
être corporel qui fait qu’on peut beaucoup plus facilement être attiré par quelqu’un et
y’a une totale désinibition, donc euh on peut... j'sais pas ouais y’a des gens qui se
sont connus sous ecsta et qui... cinq minutes après s’être rencontrés étaient dans
les bras l’un de l’autre et une demi heure après s’embrassaient et bon... ils allaient
pas faire l’amour tout de suite parce que c’est vrai que sous ecstasy, c’est pas l’idéal
pour faire l’amour parce qu’il y a une sensation corporelle et on a quand même plutôt
tendance à avoir besoin de danser, de faire la fête, que de se retrouver dans un lit
mais bon, j’ai aussi expérimenté et c’est fort sympathique, certains disent que ça
empêche l’érection, moi ça m’a jamais posé de problèmes, certains diront que ça
empêche l’éjaculation, non plus... (...)de toutes façons c’est une drogue tactile et
sensuelle où on aime son prochain, on a envie de le toucher quelque part et en
descente, une caresse, elle est multipliée par dix quoi, c’est ouah... et puis surtout si
on en prend avec quelqu’un avec qui on est et quelqu’un qu’on aime, alors là, ça
décuple le tout quoi, c’est... ah bé de toutes façons, à la base, le MDMA, c’est une
substance qui est formidable quoi, ça permet de tout voir en rose, donc euh... c’est
tout bénef quoi...
- Est-ce que tu penses qu’à cause de l’ecsta, t’as pris des risques par rapport aux
MST ?
- Ouais, ouais à une période ouais totalement, ouais, complètement ouais... ouais...
- Et ça a évolué ?
- Ouais, maintenant je fais vachement plus gaffe mais peut-être que beaucoup plus
facilement sous ecstasy on zappera, on zappera la capote parce que... parce qu’on
n’est pas dans un état de lucidité normale et euh... ouais, c’est une évidence, c’est
certain, ah ouais.... ouais, y’a un gros danger à ce niveau là, c’est sûr. Bon, peut-être
que le milieu homo est beaucoup plus sensibilisé que le milieu hétéro, ouais, très
certainement parce que bon, ils ont peut-être plus l’habitude de faire attention et... et
ils ont peut-être une autre éducation à ce niveau là mais bon, je pense que, encore
pour... déjà en dehors du problème de l’ecstasy, je pense que l’hétéro de 20 ans il
doit continuer de penser “ ça m’arrivera pas à moi ” et en plus, sous ecstasy... puis
ça va être beaucoup plus dur à mon avis, sous ecstasy de refuser une relation parce
que l’un des deux veut pas mettre de préso...
- Est-ce que tu penses qu’après une rave party ou une sortie en club, les gens se
retrouvent pour faire l’amour facilement ou est-ce qu’ils sont trop nases pour faire
quoi que ce soit ?
- Ca dépend. Moi, j’ai connu le côté on sort à plusieurs, genre à cinq, six, deux trois
filles, deux trois garçons et en rentrant c’est plutôt gros câlins qu’autre chose, c’est
tactile. De toutes façons, on a besoin de contacts après. En descente, le contact est
plaisant, mais je sais pas s’il y a eu des parthouses organisées suite à une rave.
Peut-être que ça existe, mais de toutes façons... par contre au niveau du milieu
homo, tu vas avoir une toute autre consommation d’ecstasy, des gens qui se sont
amusés à faire des performances sexuelles sous ecstasy, qui... beaucoup qui ont
pris de l’ecstasy simplement pour baiser, ça va être une toute autre consommation.
Dans le milieu hétéro, bon c’est clair que c’est arrivé à certains de gober et de
passer toute la nuit dans leur chambre à délirer sous Xeu, mais bon je pense que80
sexuellement, la cocaïne est un stimulant beaucoup plus fort que l’ecstasy. L’ecstasy
c’est pas sexuel en soi, c’est sensuel, c’est spirituel, c’est un bien être avec la
personne, c’est une sensation tactile décuplée mais c’est pas sexe en soi. C’est la
pilule de l’Amour avec un grand A, mais pas de la sexualité.
- Je t’ai posé la question de savoir si on prend plus de risques en ce qui concerne les
MST sous ecstasy, mais je peux te poser la même question pour la cocaïne...
- Ouais, complètement coké, ça doit être le même genre de problème, mais y’a
quand même une lucidité qui est autre que cette de l’ecsta, je pense que... par
contre la cocaïne, c’est sexe... ça sera moins sensuel et tactile, ça sera plus sexe,
ouais, de toutes façons, c’est bien connu...
- Donc, on peut dire la même chose de la cocaïne et de toutes les drogues actuelles
? Elles désinhibent la personne, elles font perdre pied par rapport à la réalité et par
rapport au moindre risque ?
- Ouais, totalement (...) De toutes façons, pour toutes les drogues, je crois qu’il y a
un côté déjà aphrodisiaque, même pour une drogue très douce comme l’herbe, c’est
nettement mieux avec que sans quoi, c’est clair, c’est un stimulant, ça permet d’être
plus désinhibé, de toutes façons, je pense que ce qui est intéressant dans la
sexualité, c’est la désinhibition quoi et vu que la plupart des drogues désinhibent,
l’équation elle est là quoi, elle est évidente mais c’est clair qu’il y a une prise de
risques...."

8. Les modes d'achat et de vente
L'achat d'ecstasy est banalisé, simple, quasi anodin et s'effectue généralement entre
amis proches, ou connaissances. Le "deal de salon", l'achat groupé pour payer
moins cher, le deal à petite échelle pour financer sa propre consommation, tous ces
échanges se passent dans une certaine convivialité. L'achat en boîte ou en bar, est
plus chargé de stress mais le dealer devient rapidement une connaissance, un ami
qui sait faire la fête et offre facilement des verres (c'est un gros client de la boîte à
qui il laisse parfois deux à trois mille francs dans la soirée. Nous avons vu aussi des
patrons de bars prier un dealer de quitter leur établissement, bien qu'il soit un bon
client et qu’il fréquente le lieu depuis des années. Lorsque le consommateur refuse
d'avoir un contact avec un dealer, par principe ou pour ne pas être tenté de
consommer davantage, il charge un ami proche d'aller acheter à sa place.
Oscar "En général ce qu’on faisait... on achetait entre 10 et 30 ecstasy, au tout
début, quand j’ai commencé, ça se vendait 200 francs, donc en en achetant 10 ou
30, on devait les toucher à 120 francs donc ce qui permettait assez facilement, en en
revendant les deux tiers d’en avoir un tiers gratuit et de le consommer à plusieurs et
assez rapidement, les prix ont chuté, c’est passé à 150 francs et donc là on les
touchait en gros à peu près à 70, 80... quoi en gros, c’était 10, 20, 30 quoi... et donc
c’était toujours par l’intermédiaire de petits deals qu’on se droguait gratuitement...
parfois, y’avait même un petit bénéf qui permettait de s’acheter une paire de basket
ou deux, trois disques et.... mais y’avait énormément d’intermédiaires parce que...
moi même qui en avais en général 20 ou 30, je les revendais parfois par 5 ou par 10,
la personne au dessus de moi, elle en avait peut-être entre 50 et 100. Au dessus de
lui, y’avait une personne qui en avait entre 100 et 500 et il fallait peut-être encore
remonter deux, trois échelons avant de tomber sur le grossiste qui faisaient venir...81
là, on parlait plus en nombre, mais en kilos... ça se vendait au kilo d’ecstasy, je sais
pas combien ça coûte, mais...
- C’était toujours à un même fournisseur auquel tu t’adressais?
- Ouais, pendant la période où j’allais régulièrement en rave, c’était une amie qui
allait carrément en rave avec nous quoi, qui nous en vendait et sinon, ouais, ça a
jamais été plus de deux, trois personnes différentes et c’était... on n’a jamais été
confronté au dealer, l’image qu’on peut avoir du dealer quoi, ça a toujours été des
amis, des gens qu’on connaissait, des gens qui consommaient... ça aussi c’est très
important dans le milieu de l’ecstasy, la plupart des gens qui vendent consomment...
Ouais, moi j’ai rarement... je suis jamais tombé sur quelqu’un qui vendait sans
consommer. Peut-être que maintenant y’en a parce que peut-être y’a certains,
certaines personnes qui ont arrêté d’en prendre mais qui ont continué à en vendre,
mais...
- Et très rapidement, t’as été mis... t’as eu la possibilité d’acheter en grande
quantité...
- Oh oui
- Tout à fait au départ, quand t’as eu ta révélation, est-ce que rapidement tu t’es mis
à vendre ?
- Oh ouais"

9. Le devenir des consommations
Beaucoup de personnes goûtent l'ecstasy et abandonnent ce produit. D'autres
consomment tranquillement, au gré des circonstances, puis la consommation
s'effiloche et semble s'éteindre. D’autres consommateurs, ceux qui ont gobé
intensivement pendant plusieurs mois, voire deux à trois ans, tentent d'arrêter. Cette
démarche est difficile pour eux, car elle implique de changer leur mode de vie et que
l'arrêt de la consommation va souvent de pair avec un état dépressif plus ou moins
grave selon les individus. Beaucoup coupent brutalement les ponts avec le milieu de
la nuit, arrêtent de sortir pour arrêter de gober. Ils se retrouvent souvent fragilisés
psychologiquement, ayant perdu leur confiance en eux, leur énergie. D'autres
personnes arrêtent la consommation d'ecstasy mais continuent à faire la fête, à
sortir, au risque de la tentation.
Oscar : "Tous les amis avec qui j'en prenais continuaient et c'était : "ben Oscar,
viens avec nous en rave ce soir, même si tu gobes pas, viens", mais pour un ancien
gobeur sortir avec des gens qui gobent c'est pas possible pendant très longtemps et
encore... et encore maintenant, si je vais en rave, je sais que je gobe sinon j'y vais
pas quoi, parce que la rave elle est faite pour ça quoi, ça a été inventé pour
consommer de l'ecstasy (...) "et puis, pendant toute une période, pendant
pratiquement un an je refusais les ecstasys qu’on me proposait et on m’en proposait
à tour de bras quoi, mais c’était super dur à gérer aussi quoi... parce que la tentation
est immense... surtout quand on a connu tout le monde dans un club, où on a vendu
un peu, donc on connaît les autres personnes qui en vendent, qui viennent t’en
reproposer et c’est particulier"
Oscar "C’est la fameuse déprime du mardi quoi, c’est... on gobe le samedi soir, le
dimanche on est encore défoncé, le lundi on est comme ça et puis le mardi on est
déprimé, c’est ce qui amène beaucoup de gens à arrêter d’ailleurs, parce qu’ils en82
ont marre d’être déprimé le restant de la semaine pour six heures d’amusement le
week-end"
Hugues : "Moi je pense que tous les gens que je connais qui sont allés dans
l'extrême comme moi ont arrêté... peut-être pas aussi radicalement que moi, mais en
s'aidant d'un psy, ou d'autre chose tu vois, mais ils essayent tous d'arrêter quoi..."





X. L’ECSTASY : UNE DROGUE EN COURS DE DEFINITION

Pour les consommateurs, l’ecstasy n’est pas toujours vu comme une drogue : c’est
d’abord un produit nouveau, associé à la fête et non pas au monde des drogues
dites “ dures ”. L’image de ce produit est en perpétuelle évolution depuis son
apparition, se rapprochant et s’éloignant de plusieurs pôles: le cannabis (banalité), le
LSD (dimension exploratoire), la cocaïne (fête)...
Les usagers développent au sujet de l’ecstasy un discours qui fait apparaître le
caractère discordant des représentations à ce sujet : c’est une consommation non
liée à la “ toxicomanie ” et, en même temps, existe le constat des multiples
complications, souvent invalidantes, liées à son emploi. Pour beaucoup, existe une
tendance à minimiser les effets dangereux, déstabilisants ou destructeurs de son
utilisation, y compris quand ces derniers sont manifestes pour eux : problèmes de
dépression, amaigrissement, lésions dentaires problèmes digestifs... Parfois, pour
certains, les problèmes rencontrés sont à mettre sur le compte de la seule
prohibition et non pas sur celui du ou des produits.
“ Je recherche des sensations physiques que je sais artificielles: l’excitation, la
motivation, l'endurance. Je trouve qu'il y a une mauvaise gestion des effets
secondaires, du retour à un état dit ‘normal’. Il est important de se forcer à se nourrir
correctement après avoir consommé. La nature prohibée de la substance provoque
un climat d'insécurité pour les consommateurs qui ne peuvent pas parler librement
de leur consommation.”

1. La consommation de l’ecstasy et ses effets
La consommation de l’ecstasy pose de multiples problèmes aux utilisateurs, à
commencer par la question de savoir la nature exacte du produit acheté. Il est très
difficile pour eux de connaître la composition et le dosage des produits vendus
comme étant de l’ecstasy sauf, dans de rares cas, quand ils vérifient eux-mêmes
cette composition par un “ testing ”. En pratique, ils sont amenés à faire une relative
confiance aux témoignages de leurs pairs et aux revendeurs, mais sans jamais la
moindre garantie.
* Les effets :
Les effets recherchés -et obtenus- par les utilisateurs mériteraient à eux seuls une
longue description. Ils consistent, schématiquement, en une alliance de plusieurs
dimensions : l’euphorie, l’empathie et un bien-être corporel. L’euphorie obtenue se
traduit par le sourire bien connu des consommateurs : un sentiment de bonheur et
de calme, assez comparable aux effets du cannabis, mais beaucoup plus intense.
L’empathie prolonge ce sentiment par cet effet spécifique qui donne aux usagers
l’impression de pouvoir communiquer facilement avec tous les autres, y compris
selon un mode non verbal. Le bien être corporel, enfin, vient donner une certaine
consistance aux deux premiers effets : être bien dans sa peau et dans son corps.85
Ceci explique que l’ecstasy soit la drogue de la sensualité et de la volupté et, en un
mot, de l’amour. A la différence de la cocaïne, il ne s’agit pas d’un produit “sexuel ” :
il n’est pas spécialement vu en relation avec la sexualité elle-même, mais bien plutôt
avec la capacité de chacun d’entrer en contact et en sympathie (psychique et
physique) avec les autres.
“ Je me sens bien, j'ai le sourire. Le monde est merveilleux. Je me sens proche des
gens. Je me sens légère. ”
“ Ca m’excite de prendre un ecstasy, de changer de peau, d'augmenter la
perception. Si je tombe sur le produit et que l'idée m'en vient, j'en consomme. C'est
spirituel. Ca m'a permis de faire des choses sous ecstasy qui ne me semblaient pas
possible sans le produit. Je me sens moi-même. Ca me fait rire. ”
“ Je communique facilement, je me sens bien dans mon corps, je perçois mieux
l'espace, je gère mes mouvements. Je suis naturelle et spontanée. ”
“ J'ai plus de facilité à communiquer, à aller vers les autres. Mon esprit, ma pensée
n'ont plus de barrière et cela me permet de développer mon imaginaire. ”
“ Je suis déjà de nature communicative, l'ecstasy a accentué ce tempérament, et
aussi d'être sur la même longueur d'onde que les autres personnes qui avaient
consommé. Je me suis senti destressé. ”
Les effets négatifs, quant à eux, sont presque inexistants au début, lors de la
première ou des premières prises. Il est arrivé que certains usagers fassent état
d’épisodes anxieux ou de malaises lors de cette première prise. Mais, d’une façon
générale, l’expérience a été décrite comme très positive. L’usager, à cette occasion,
a généralement bénéficié d’attentions particulières de la part de ses pairs plus
expérimentés : gentillesse, surveillance discrète, explications, conseils... La plupart
du temps, La première consommation est souvent vue comme un événement
inaugural : une révélation. Ceci explique certainement, pour une part, le succès de
ce produit.
Les effets négatifs de la consommation d’ecstasy, quant à eux, interviennent le plus
souvent après un certain temps, variable, de consommation. Mais ils sont également
difficiles à préciser dans la mesure où de nombreuses plaintes pourraient être
attribuées à d’autres produits consommés de façon contemporaine : LSD,
amphétamines, alcool...
Le plus souvent, il s’agit de troubles anxieux et parfois d’états dépressifs, souvent
intenses, accompagnés d’insomnie, se prolongeant parfois plusieurs jours et
survenant à la suite immédiate de l’épisode de consommation. Ce sont les
problèmes du lundi, du mardi et parfois du mercredi. “ Le lundi, j’ai mal partout ; le
mardi, j’ai pas les idées claires ; le mercredi, c’est la déprime .”
A ces troubles de base peuvent s’associer des phénomènes plus inquiétants :
amnésie et de confusion. Il arrive parfois que les sujets ne se souviennent plus de ce
qu’ils ont fait pendant 24 ou 48 heures. Parfois, enfin, surtout semble-t’il dans le
contexte de consommations intensives et prolongées, se produisent des états86
dépressifs caractérisés, accompagnés le plus souvent d’angoisses intenses. C’est à
ces moments là que d’autres symptômes peuvent être identifiés : amaigrissement
sévère, problèmes digestifs, dents qui se déchaussent... Mais, encore une fois, il est
difficile d’attribuer au seul ecstasy l’ensemble de ces manifestations. Il serait plus
juste de parler du rôle d’un complexe de produits (ecstasy, amphétamines, LSD)
dans un contexte où l’épuisement des sujets (privation répétitive de sommeil...) est
vraisemblablement un facteur important. Soulignons enfin que ces complications
secondaires, quand elles atteignent un certain seuil d’intensité, amènent les sujets à
quitter de façon brutale et radicale le milieu dans lequel ils évoluaient.
“ Je n'arrive pas à dormir après avoir consommé. J'ai des difficultés à avaler de la
nourriture. Je n'ai plus les pieds sur terre. Pendant la descente, je déprime, j'ai une
sale tête. Le retour au réel est difficile. ”
“ Je ne garde pas toujours le souvenir de mes soirées. C'est un produit dangereux
qui est fait de n'importe quoi. ”
“ Dans les deux jours qui suivent la prise, je suis un peu déprimée. Le retour à la
réalité peut être difficile. ”
“ J'ai perdu la notion du temps, j'ai l'impression de ne pas avoir ressenti les
événements aussi intensément que si j'avais été à jeun. A un moment, j'ai eu un gros
coup de barre et j'ai été mou tout le week-end. ”
* Les fréquences :
Les sujets ont souvent du mal à estimer précisément leur consommation d’ecstasy :
nombre de doses prises, fréquences. Ces consommations se font par ailleurs selon
des rythmes variables dans le temps et complexes. Ceci est la raison pour laquelle
nous avons choisi, pour cette évaluation, le critère “ d’épisode ” de consommation.
Q: Et l'ecstasy, t'en consommes combien par jour à cette époque?
R: Je mangeais ça comme des bonbons. Ca pouvait aller au maximum jusqu'à une
dizaine par jour.
Q: Tu t'alimentais ?
R: Je ne mangeais pas beaucoup, j'ai perdu vingt kilos.
La consommation d’ecstasy est en grande partie liée à la “ fête ”, qu’ils s’agisse de
sorties en boîtes, de raves, de free-parties ou seulement de rencontres privées entre
copains. Le samedi et dimanche sont des jours de forte consommation aussi bien
pour les “ weekender’s ” que pour ceux qui consomment pendant la semaine. Pour
nombre de sujets, il s’est produit une évolution vers une consommation régulière,
quotidienne, avec le maintien d’une activité professionnelle apparemment normale,
tout du moins pour un certain temps. Un cas de figure assez courant est celui d’une
consommation épisodique pendant quelques mois et qui s’accentue87
progressivement en quelques mois, parfois une ou deux années. Pour d’autres, avec
ou sans expérience de consommation intensive, les rythmes semblent stabilisés,
maintenant les prises à un niveau relativement faible (une ou deux fois par mois par
exemple).
Q : Tu consommais des pilules EVA ?
R: A la deuxième prise, je n'ai pas pris une pilule entière, déjà. J'ai pris une moitié,
parce-que franchement, ça avait été fort les 1/2, ça avait vraiment été fort pour moi.
C'était des EVA, ils étaient vraiment forts. (...) Au début, je ne les prenais que par
moitié. J'en achetais une et généralement je prenais une moitié le samedi et une
moitié le dimanche. (...) C'était assez espacé au début, peut-être tous les quinze
jours, trois semaines. En fait, quand il y avait une occasion, une fête, un truc comme
ça. Le week-end, pas tous les week-end en plus au début. C'était pour faire la fête,
je n'étais pas porté sur le truc. Mais à force de faire des soirées, ça a commencé à
devenir tous les week-end après.
Q: Comment pourrait-on situer la fréquence de consommation?
R: Au début c'était peut-être une prise tous les quinze jours, entre une fois et trois
fois sur le mois. Une pilule à chaque fois, je prenais une moitié le samedi, une moitié
le dimanche. ”
Q: A quel moment ta consommation s'est intensifiée?
R: Quand j'ai rencontré des personnes qui prenaient plus et donc, j'ai voulu suivre un
petit peu. Pendant cinq mois, c'étaient les mêmes pilules à chaque fois. C'étaient
toujours des EVA de la même qualité, et moi je commençais à les sentir moins, donc
j'augmentais les doses. Au bout de six mois, c'est bon, on a doublé les doses.
Quelquefois je commençais pendant la semaine, ça commençait.
Q: Au bout de combien de temps après la première prise, tu as consommé
régulièrement?
R: Un an après. Au bout d'un an, c'était pratiquement tous les jours.
* La descente :
La “ descente ” correspond au moment où l’effet du produit commence à s’estomper.
Mais cette “ descente ” n’est en rien spécifique à l’ecstasy, elle concerne de la même
façon le LSD, les amphétamines et bien d’autres produits. En fait, cette notion est ce
qui permet d’englober sous une seule et même appellation l’ensemble des effets
négatifs du produit quand ils se produisent dans les suites d’un épisode de
consommation. Les symptômes les plus décrits, outre ceux énumérés plus haut,
sont ceux d’une fatigue générale, voire d’un épuisement. Pour différer ou tenter
d’éviter ce moment, les sujets adoptent diverses stratégies. Certains vont dans les
“ after ” et consomment de nouveau soit de l’ecstasy, soit d’autres produits. D’autres
maintiennent entre chaque épisode de consommation un certain délai de temps
mesuré en semaines. D’autres s’isolent et tentent de dormir. Le point important, ici,
est que ce phénomène de la descente correspond à un appel soit pour la réduction
et le contrôle des prises, soit pour la consommation d’autres produits et plus
spécialement ceux qui ont un effet calmant, apaisant.88
“ A la suite d'une prise d'un ecsta, je suis trois jours en descente, je suis mal, fatigué,
susceptible, sans entrain. J'ai des troubles de la personnalité. ”
“ Je vis mal la descente, je n'aime pas cette période: j'ai mal partout, je suis dégoûté
parce-que c'est fini. Je supporte mal l'amplitude, le décalage entre le moment sous
l'effet de l'ecstasy et le retour à une réalité sans le produit. ”
“ La descente est fatigante. Il vaut mieux avoir de l'herbe ou du teuch à fumer. ”
“ J'ai bien vécu ma consommation parce-que je sais la gérer. Je ne consomme
jamais seule, mais avec des personnes que je connais. Je bois beaucoup d'eau et je
me réserve deux jours au calme pour la descente. ”
“ La descente, le lendemain ou le surlendemain, moins tu redescends plus tes
descentes sont mauvaises. Parano, gros speed quand on consomme régulièrement.
Dégoût, plus envie de rien faire, tu es dans le rêve permanent, tu aimerais faire plein
de trucs mais tu les fais que dans ta tête. Tu maigris et tu deviens plus pâle. ”
“ Au début de mes premières prises d'ecstasy, je me sentais bien sur le moment
mais la descente du lendemain était fatale. Maintenant je vis bien cette conso car
elle est plus rare et les produits sont meilleurs. ”

2. L’ecstasy et les consommations associées
La grande caractéristique de l’ecstasy est précisément d’être consommé en
association directe ou indirecte avec d’autres produits psychotropes. Parmi
l’ensemble des produits consommés, nous trouvons principalement : le LSD, le
cannabis, la cocaïne, les amphétamines, les opiacés et l’alcool. Mais les recours à
ces produits semblent assez largement conditionnés par l’environnement dans
lequel les sujets évoluent. L’exemple le plus caractéristique de l’influence de
l’environnement est celui du cannabis : très largement consommé dans les raves,
tout à fait prohibé dans les clubs et les bars.
* LSD:
Son prix, beaucoup plus bas que celui des ecstasy, aux environs de cinquante
francs, selon les quantités achetées et les qualités, le met à la portée de toutes les
bourses. Nous ignorons tout, d’ailleurs, des caractéristiques chimiques de ces
produits distribués sous l’appellation “ LSD ”. Ils sont distribués sous diverses formes
et dénominations qui ont chacune leur réputation: trip, buvard, pointe, micro-pointe,
dragon vert, panoramix... Les “ micro-pointes ”, par exemple, sont considérés
comme des produits redoutables, très forts. Ajoutons que ces produits sont
difficilement fractionnables et partageables. Ils occupent une place particulière par
rapport à l’ecstasy : ils peuvent se situer en concurrence ou en choix alternatif vis à
vis de lui : certains consomment l’un ou l’autre, soit de façon ponctuelle, soit pendant
certaines périodes. D’autres associent les deux produits et toutes les combinaisons
restent possible.89
“ Pendant un moment j'ai laissé tomber l'ecsta pour le LSD. Je prenais déjà du LSD
avant l'ecstasy. Mon premier LSD, je l'ai pris le jour de mes 18 ans. Je ne savais pas
ce que c'était, on me l'a mis dans la bouche et j'ai apprécié. C'était fort mais c'était
bien. (...) C'était que les trips pendant à peu près six-huit mois, et après je revenais
quand même aux pilules. Avec les trips je déconnecte un petit peu trop, les effets
sont vachement psychologiques, ça fait des drôles de trucs dans la tête. J'ai fait des
bad trips, un dédoublement de la personnalité, on m'a dit que c'était ça. En fait, je
me suis vu, mais comme je te vois, vraiment en face. Ca m'est arrivé deux fois, ça
m'a fait fort peur. Une personne m'a dit que c'était très mauvais, qu'il fallait arrêter. ”
“ Je consommais l'ecstasy pour s'accorder avec le LSD. Ca me donnait le sourire.
J'associais les produits: speed, LSD, ecstasy, cocaïne, suivant le besoin du moment:
fatigue, faim. ”
“ J'associais à l'ecstasy du speed et du LSD . Entre les deux fêtes du week-end sous
ecstasy, j'étais déprimé tout au long de la semaine dans l'attente d'en reconsommer
et de m'amuser le week-end suivant. J'avais des spasmes, je me sentais opprimé en
descente. ”
Quoiqu’il en soit, les consommations de LSD sont souvent mal tolérées et semblent
à l’origine de malaises psychologiques et de troubles importants.
“ Suite à la consommation de LSD, pendant un mois régulièrement et de manière
dégressive, j'avais l'impression que tout ce qui m'entourait, ce que je voyais était
faux. J'avais l'impression de perdre ma personnalité, cela est très difficile à expliquer
et me semble très abstrait, y compris à moi-même. Un ami qui avait consommé le
même produit LSD a ressenti les mêmes choses. (Tu as vu un médecin à ce moment
là?) Oui, parce-que je suis resté bloqué pendant une semaine. Pendant une semaine
j'ai eu l'impression que tout le monde était au ralenti. J'ai l'impression que c'était les
autres qui n'allaient pas bien. Moi je me sentais bizarre, mais j'avais l'impression que
c'était les gens qui étaient trop speed.
* Le cannabis :
Le cannabis est, globalement, le produit le plus généralement consommé, soit
comme premier produit dans l’histoire du sujet, soit comme produit
d’accompagnement. Mais un certain nombre de nuances doivent être introduites ici.
Pour les gros fumeurs d’habitude, les autres consommations (ecstasy compris)
semblent venir se greffer sur le cannabis et ses fréquences de coonsommations
évoluent peu. Pour d’autres, le recours au cannabis intervient comme complément à
la prise des autres drogues. Pour d’autres, enfin, c’est l’inverse : le cannabis, jugé
anxiogène, est moins consommé, voire évité.
* La cocaïne :90
La place de la cocaïne par rapport à l’ecstasy est celle d’un produit complémentaire :
la cocaïne peut venir se substituer à l’ecstasy, pour en faire rebondir les effets, aux
premiers moments de la descente. Pour certains, les plus âgés, il s’agit d’une
consommation ancienne qui se trouve réactualisée dans un contexte nouveau. Pour
d’autres, plus jeunes, il s’agit d’un produit nouveau, découvert à la suite des
premiers contacts avec l’ecstasy. Pour ces derniers, les moins expérimentés, la
rencontre avec la cocaïne n’est pas le fait du hasard : les sujets apprennent, peu à
peu, l’existence de tous les produits disponibles dans le groupe auquel ils
appartiennent ; ils découvrent dans la cocaïne un produit idéal ; ils se voient
proposer, lors de certains événements, des lots ou des “ kits ” comprenant à la fois
de l’ecstasy, de la cocaïne et du cannabis. L’image de ce produit étant plutôt
favorable, peu liée à celle de l’héroïne, le passage d’un produit à un autre s’en
trouve facilité.
* Les amphétamines :
Nous avons identifié l’existence, surtout dans la région nord, d’utilisateurs
d’amphétamines, ou “ speed ”. Il ne s’agit pas, le plus souvent, de produits
pharmaceutiques détournés de leur usage, tel le Dinintel. Ils se présentent sous la
forme de poudre blanche et semble provenir la plupart du temps de Belgique ou des
Pays Bas. Les sujets consomment ce produit en association avec l’ecstasy ou en
remplacement. Ils peuvent ainsi rester éveillés pendant de longues périodes et ne
pas ressentir de fatigue. L’existence de ce produit dans ces milieux, encore
marginale actuellement, est tout à fait notable. Nous savons, par ailleurs, que ces
consommations d’amphétamines sont classiquement très invalidantes, à l’origine
notamment de décompensations psychiatriques sévères. Ce point est d’une
importance capitale et devrait faire l’objet d’une étude approfondie.
“ Je sortais de boîte, j'avais été en boîte en train et j'étais revenu avec deux
grammes de speed que j'avais acheté en boîte. En boîte belge, le speed se vend
cent francs le gramme. Ils disent qu'il y a un gramme, mais il n'y a pas un gramme
pesé. Le train arrivait en gare de Lille et ils sont montés au dernier moment parceque le train commençait à ralentir. Je les ai vu arriver du bout du wagon et j'ai foutu
le truc dans la poubelle. Ils ont trouvé, ils ont regardé dans la poubelle. Ils ont
l'habitude, mais ça va, je n'ai même pas eu d'amende, parce qu'en fait je suis tombé
sur des douaniers un petit peu blaireaux. Ils ne savaient pas ce que c'était. Ils m'ont
demandé ce que c'était. Ils m'ont fait : “ C'est quoi? de la coke, de l'héroïne? ” Je leur
ai répondu : “ Oh non, rien de tout ça, c'est du speed. ”, “ Ah oui, et c'est quoi du
speed? ” ils m'ont dit. Alors je leur ai dit: “ Du speed, c'est du speed. ”. Alors ils m'ont
demandé ce que ça faisait. J'ai dit: “ c'est pour me speeder.” Je me demandais s'ils
ne faisaient pas exprès, j'étais franchement étonné qu'ils ne sachent pas ce que
c’était. Je me suis fait embarquer dans le bureau de la gare, fouillé, à poil. Ils m'ont
demandé combien il y avait. Je fais: “ il y a un demi gramme ”. Alors ils font: “ Et tu as
payé combien ? ” Je fais “ cinquante francs ”. Et puis y a un type qui est arrivé, un
des douaniers, avec un petit flacon, avec un produit dedans, du réactif. En me disant
“ Tu t'es fait arnaquer, c'est pas du speed, c'est des amphétamines. ” C'est là que je
me suis dit “ c'est vraiment des blaireaux. (...) En fait je préfère le speed aux pilules.91
Les pilules il en fallait beaucoup pour le sentir, tandis que le speed non. Je ne sais
pas, j'étais beaucoup plus speed justement. Je préfère aussi l'effet du speed. (...)
J'associais les deux parce-que, les pilules tout seul, j'étais trop nounours, trop lovelove, trop gentil avec les gens... Trop gentil, tout le monde était beau, gentil. Je
devenais jm'en foutiste. Le speed me rendait plus nerveux, plus hargneux. ”
* L’alcool, les opiacés :
Ces deux produits ont une fonction commune: la recherche de l’apaisement. Les
consommateurs d’ecstasy et de produits voisins (LSD, amphétamines), à certains
moments de leurs trajectoires, expérimentent de façon très fréquente des malaises
physiques et psychiques très importants, voire intolérables. Ils sont alors
inévitablement amenés à chercher un soulagement et ceci passe, entre autres
solutions, par la consommation d’autres produits. Il s’agit là d’un point central d’un
point de vue épidémiologique : le passage d’une consommation d’ecstasy à une
consommation de multiples produits, dont l’héroïne. Ce dernier produit est de toute
évidence le plus efficace et le plus apprécié : “ C’est divin, l‘héroïne, en after... ”
Pour certains, le recours à l’alcool et aux opiacés semble limité, ponctuel. Pour
d’autres, cette consommation est d’emblée dramatique, correspondant à la tentative
désespérée de soulager un état de souffrance devenu intolérable ; elle se traduit
alors par des épisodes franchement pathologiques : polytoxicomanie, ivresses
pathologiques, problèmes médico-légaux... Pour d’autres, enfin, nous assistons à la
mise en place d’une conduite nouvelle, celle de la consommation quotidienne
d’héroïne, avec dépendance. Ceci pose la question de la prévention de telles
dérives, d’une part, et celle de la prise en charge médicale des usagers lors de
l’apparition des premiers symptômes psychiatriques.
* Autres produits :
Parmi les multiples autres produits consommés, citons les champignons, type
psylocibe mexicana entre autres, achetés aux Pays Bas ou récoltés en France.

3. Les dynamiques de consommation
Il s’agit d’un thème de recherche prioritaire dans l’avenir et qui n’est qu’ébauché ici,
dans ce travail pilote. Il s’agirait d’identifier une typologie des usages et des
transformations de ces usages, depuis l’expérimentation jusqu’aux consommations
intensives, en passant par les dérives (polytoxicomanie, dépendance à l’héroïne)...
La difficulté de cette question est liée, en particulier, à l’observation suivante : quand
les usagers d’ecstasy se sentent mal, ils ont tendance à disparaître de la scène où
leurs consommations ont débuté. D’un point de vue méthodologique, un travail de
recherche ultérieur devra donc s’attacher à ne pas limiter ses investigations aux
scènes les plus spectaculaires (raves, clubs, technivals...), mais devra au contraire
élargir le champ de la recherche à d’autres lieux, y compris des espaces soignants.
Un autre point, enfin, méritera d’être exploré : celui de la dépendance à l’ecstasy.
Certains sujets, en effet, se disent dépendants de ce produit et en consomment de
façon quotidienne. Cette situation, quoique rare, est à l’origine le plus souvent92
d’évolutions individuelles catastrophiques sur le plan sanitaire et social. Elle est peut
être mise en rapport avec une autre constatation, celle d’une tolérance des sujets vis
à vis de l’ecstasy. Tout du moins chez les usagers les plus réguliers, il nous a été
rapporté que les effets de l’ecstasy avaient tendance à s’estomper avec le temps,
d’où le recours à des doses plus importantes ou à d’autres produits. Parmi ces
usagers, beaucoup prétendent que les qualités des substances se sont nettement
dégradées avec le temps. Mais nous constatons aussi que ce type de discours se
retrouve aussi bien chez des usagers très anciens (dix ans et plus) que chez des
usagers beaucoup) plus novices (un an ou deux). Le caractère pilote de cette
investigation et le nombre limité des observations réalisées ne nous permettent pas,
aujourd’hui, d’aller plus loin. Nous consignons ici deux observations.
Observation 1 : A. est âgé de 35 ans. Après avoir travaillé comme chauffeur livreur,
il travaille actuellement dans la restauration. Il a commencé à consommer de
l’ecstasy en 1992. Mais, 10 ans auparavant, il avait testé d’autres drogues (LSD,
cocaïne, cannabis). En revanche, il dit n’avoir jamais touché à l’héroïne. “ Jamais,
jamais. Une fois je me souviens qu'il y a une glace qui est passée, on était à
plusieurs, les mecs étaient en train de sniffer de l'héro. La glace est arrivée à moi, j'ai
soufflé dessus. Il en restait 2 derrière, j'ai failli me faire incendier. Ils n'avaient pas à
me demander de prendre ça. Je leur avais dit "je ne prends pas d'héro, je ne vois
pas pourquoi tu me tends la glace". ”
La première fois qu’il a consommé de l’ecstasy, il était dans un club avec un copain :
“ Ce n'est pas qu'il me l'a proposé. Il avait le produit. Il m'a filé la moitié de son
produit. Et ma foi, j'ai dis oui pourquoi pas. ” Il parle de cette première prise d’ecstasy
en ces termes : “ le truc qui te donne, comment je vais dire, pas la pêche, mais tu
vois, tu te sens bien en toi, tu as envie de... Je veux dire, tout passe bien, la
musique passe très bien , je ne vais pas te dire que t'es love, oh si, on va dire que
t'es love. Tu vois tout le monde gentil, tout le monde beau. Enfin, c'est superficiel,
c'est ce que tu te dis au départ. Mais en fait, avec du recul c'est pas ça, c'est pas ça
du tout. Mais comme tu ne connais pas le truc, on te dit, c'est comme ça et c'est
comme ça. Alors dans ta tête c'est quelque part un peu psychologique. On te pousse
en fonction de tout ce que tu entends, des gens qui en consomment qui te disent
c'est ci, c'est ça. Et dans ta tête, tu es quelque part braqué par ce que tu as entendu,
et tu le vis presque comme ça. Je ne vais pas dire que j'ai aimé directement. Ca ne
m'a pas déplu. Réessayer, pourquoi pas, mais pas dans l'immédiat. Je crois que j'ai
dû laisser passer 3-4 mois avant d'en reprendre un ”.
Après, cette première expérience, A. a continué à consommer. D’abord de manière
irrégulière, une fois de temps en temps, à l’occasion. Ensuite, cette consommation
s’est accélérée. Elle est devenue plus régulière, une fois par mois, deux fois par
mois, tous les week-end et parfois plusieurs fois dans une semaine. Enfin, il a
traversé une période de consommation intensive en 1994. “ J'ai dû vivre 6 mois sur
ces 4-5 ans où c'était jeudi, vendredi, samedi, dimanche. ”. Cette consommation est
étroitement liée aux sorties en boîtes : “ j'arrivais, je savais qu'on allait sortir, sortir
est synonyme de gober. ” Sa consommation d’ecstasy a connu également une
période de ralentissement, lorsqu’il a commencé à travailler comme livreur. “ Après
j'ai un boulot qui a repris, je livrais des marchandises dans des boutiques. Quelque93
part c'est être responsable. Tu es sur les routes tout le temps, tu as intérêt à faire
gaffe, et l'état dans lequel tu es quand tu as consommé n'est pas compatible avec le
fait de conduire huit heures d'affilée en bagnole. ”
Il a commencé à mieux connaître l’ecstasy, ses effets, où se le procurer, les produits
qu’on associe ou pas, la musique, les lieux à repérer les gens qui ont consommé de
l’ecstasy. “ L’ecsta, c'est quoi? Tu commences à avoir des bouffées de chaleur. Les
gens qui consomment, tu les vois. En général, ils ont des gouttelettes qui coulent, ils
ont les yeux révulsés. J'ai déjà eu des copines des fois dans le métro qui me
racontaient des histoires. Des lendemains de boîte, il n'y a pas de musique, mais elle
est encore là, dans le métro en train de bouger. Elle est encore dans son truc de la
veille. Les gens la prennent pour une fêlée. ” Il évoque également les difficultés qu’il
y à maîtriser le produit. “ Je ne sais pas si tu maîtrises réellement le produit. C'est
juste l'impression que tu as, à mon avis. On ne pas dire que tu maîtrises le produit,
tu le subis. Quand tu as gobé un ecstasy, l'effet est là, tu es bien. Tu es bien dans
ton corps, dans ta tête. Tu perçois mieux les choses, mais c'est par rapport à ce
produit. Quand tu ne le prends pas, quand tu te retires de ça, que tu te regardes,
c'est complètement différent. Dans cette petite enveloppe, tu es bien. Mais pas en
dehors, pas dans la réalité. D'ailleurs, c'est pour ça que ma consommation ne se
faisait qu'en boîte ou en rave. Jamais en ne rien faisant ou en bossant. Quand tu
passes huit heures à conduire et que tu dois être à une certaine heure à Marseille,
comme ça m'est déjà arrivé, tu ne peux pas lier les deux. ”
A. se procure habituellement ses ecstasy sur place, dans les clubs et les bars. Dans
la mesure où il sert toujours de chauffeur à ses amis, il dit attendre d’arriver dans le
club pour consommer. Parfois, il achète ses ecstasy, parfois ses copains lui en
offrent. Il en est de même de son côté, il en offre à ses copains. “ Le moins que j'ai
payé. J'ai réussi à avoir une fois, pour cent francs Français, quatre ecstas dans une
boîte. Il n'y a pas si longtemps, ça fait deux ans et demi, trois ans. Ce soir-là, je vais
te raconter cette histoire. Alors que d'habitude dans cette boîte tu arrivais à trouver,
là, rien, les mecs on ne les avait pas vus. En fait, on a compris, ils se sont tous fait
choper à l'entrée, avant de rentrer. Les gars ont été refusés. Ils sont rentrés, on les a
laissé entrer, on les a fouillés, on leur a retiré les trucs, on les a jetés. Et les gars de
la boîte, carrément les videurs, ont tout refilé ça a un gars qui a revendu ça devant
leurs yeux. Le mec était à la porte des toilettes. Il y a un mec qui est passé comme
ça nous voir. Bon, il n'y a rien, dans 1/2 heure, il y aura. Le mec s'est mis à côté des
toilettes, il y avait 2-3 videurs à côté. C'était un copain des videurs qui a vendu pour
eux. Ce jour-là, j'ai réussi à en trouver 4 pour 100 balles.” Il lui arrive de rencontrer
des dealers qui vendent de l’ecstasy beaucoup moins cher.
A sa consommation d’ecstasy, A. associe d’autres produits : speed, alcool, cannabis.
Dans les clubs, lorsqu’il est fatigué, il essaye de trouver du speed pour repartir. “
Dans les clubs, le speed, je ne l'achetais pas. Il y avait toujours quelqu'un qui avait
une ligne à proposer. Et en général, c'était les homos. On partageait. Ca se passait
dans les toilettes ou dans la voiture sur le parking. En général, il y a des mecs qui
ont du speed. Donc tu prends une petite ligne et puis ça te remet. Ca te fait repartir.
Mais sans vraiment abuser du speed. ” Il associe également de l’alcool et dit que
l’ecstasy pris avant ou après, supprime l’effet de l’alcool. “ On ne va pas dire les94
associer, disons que quand je gobais un ecsta, je pouvais boire du champagne
comme je pouvais boire un whisky, comme je pouvais boire une bière. D'ailleurs tu
pouvais faire un concours avec n'importe qui d'autre qui n'avait pas gobé, tu étais sûr
de gagner. Moi, il m'est arrivé de boire, je ne sais pas, en ayant pris un ecsta, de
boire sur une soirée: huit à dix coupes de champagne, cinq-six whiskys-coke,
quelques bières. Mais rien, pas raide du tout. Moi, c'est ce que ça me faisait. Des
moments, je n'avais rien, je ne faisais que boire. Donc je buvais, je buvais, je
buvais... Je commençais à être pété, mais raide. Je prenais un ecsta et j'avais
l'impression de redevenir normale. Ca annihilait les effets de l'alcool.” Il consomme
également du cannabis et dit après environ cinq ans dans la consommation
d’ecstasy qu’il préfère le cannabis à l’ecstasy. “ Tout ce qui est lié à cette
consommation d’ecstasy, c'est du rêve en fait. Tiens, une fois j'étais dans une rave,
un gars qui passait,, "je vends du rêve, qui veut du rêve, j'en ai de toutes les
couleurs". Il avait raison, c'est vraiment le mot, c'est du rêve. C'est un truc que tu
prends pour être ailleurs, mais en fait, tu es là, tu es toujours là. Même si tu es
ailleurs à ce moment-là, c'est dans ta tête que tu es ailleurs. La réalité en fait, elle est
toujours là. Tu as pris une cochonnerie et tu t'es abîmé un peu au niveau de la
santé. C'est rien d'autre, de toute façon, c'est du chimique. Moi, je prône le naturel,
pas le chimique. Style l'herbe, le shit. ”
Selon A. l’ecstasy pousse à la consommation de cigarettes. “ Il est vrai que si tu
prends un ecsta, tu vas fumer beaucoup plus dans la soirée. Ce sont des clopes
inutiles, tu t'en aperçois après. Quand l'effet de l'ecsta est terminé, tu vas fumer
aussi. Mais tu vas te dire "tiens, j'ai fumé pas mal hier". J'ai acheté deux ou trois
paquets hier, il est sûr que j'en ai distribué plein, mais je n'ai pas pu distribuer les
trois paquets. Tu doubles ta consommation de cigarettes, heureusement ce n'est
que le week-end. Tu es là en train de fumer ta clope, tu la jettes parce qu'elle arrive
au bout. Tu en rallumes une autre, tu ne te souviens même plus que tu avais une
clope deux minutes avant dans la main. Ca m'est arrivé plus d'une fois. Quand tu
consommes un ecsta, c'est comme ça. Ce n'est pas pareil avec la coke.
Par rapport à sa santé, il commence à avoir des problèmes. Il dormait peu et buvait
beaucoup d’alcool. Il a d’abord commencé à maigrir. Ensuite, il a eu des problèmes
d’estomac. “J'en suis sûr, il y a l'alcool. Je veux dire quand tu consommes des
ecstas, ce que je t'ai expliqué tout à l'heure. Tu peux boire, ça ne te fait rien. Tu bois
de l'alcool comme si tu buvais de la flotte. Quelque part ça t'abîme, même si tu t’en
aperçois pas sur le coup. Avec le temps, le temps ça passe, et tu ressens des
choses. Tu sens des changements dans ton organisme. Style, j'ai souffert pendant
trois mois au niveau de mon estomac avant qu'on me dise que c'était un ulcère. Je
savais que c'était un ulcère dans ma tête. J'avais des problèmes, je sentais des
douleurs vachement fortes au niveau de l'estomac. Je me suis dit "bon, c'est sûr, on
me dit que les ecstas c'est de la merde. C'est sûr que ça doit être de la merde. ”
A. a arrêté sa consommation d’ecstasy depuis environ deux mois. En janvier 1997 :
“ Avant d'arrêter, mon organisme faisait rejet. Je mettais le truc dans la bouche, je
voulais l'avaler avec une consommation, ça ne voulait pas passer. Ca descendait
jusqu'en bas de la gorge, mais ça remontait. L'ecsta remontait. Il y avait une espèce
de noeud qui se faisait au niveau de mon estomac. Le truc ressortait. Je crois que
quand tu en arrives là, c'est carrément ton organisme qui rejette le truc, c'est que ce
n'est pas bon. Je commençais à être écoeuré. Il y a des moments où j'avais le truc95
dans la main. Je me disais "putain, il va encore falloir que...". Je savais que ça allait
me le refaire. Je savais qu'il y allait avoir ce noeud. Bon quelque part, à la fin, tu en
as marre. Ca aidant, tout ce qu'on te dit à côté, tu sais que quelque part tu t'abîmes.
A la fin tu te dis "bon, bien stop, j'arrête. ”
Lorsqu’il a arrêté sa consommation d’ecstasy, A. s’est mis à consommer de la
cocaïne. Une consommation beaucoup plus coûteuse que celle de l’ecstasy :
“ J'étais un petit peu plus fatigué à la fin. Justement, par rapport à ça, on ne va pas
dire que j'ai pris un produit de substitution. J'ai rencontré des gens d'un autre milieu
qui prenaient de la coke. Je me suis dit "tiens, pourquoi pas"? Je connaissais déjà,
c'est aussi un produit que j'ai goûté dans les années 83-84. A l'époque, je me
souviens, vraiment à une forte fréquence. Pendant un an, c'était assez souvent que
je prenais de la coke. Du jour au lendemain, je m'étais arrêté. J'avais fait un break de
8-10 ans. Après, c'était la nouvelle année, on avait un pote qui allait souvent à
Rotterdam, qui allait acheter de la coke, qui revenait. On se faisait des soirées
nouvel an, entre nous, coke, champagne, herbe. Ce n'était que pour la nouvelle
année. Là, c'est vrai que depuis deux mois, deux mois et demi, toutes les semaines
je prends au moins un gramme. Je l'achète en France, je ne la paie pas cher, trois
cent cinquante balles. Ca en vaut cinq à six cents. C'est un pote et puis voilà. ”
Observation 2 : B. est étudiante, elle est âgée de 20 ans. Elle a commencé à
consommer du cannabis à l’âge de 16 ans. Quant à l’ecstasy, elle l’a consommé
pour la première fois dans une maison au cours d’une soirée privée, entre amis, à
l’âge de 18 ans. Elle ne connaissait pas toutes les personnes présentes. “ On est
venu me voir, on m’a dit prend çà, c’est pour toi : ‘je te le donne’. On va prendre ça
ensemble... Toute la nuit on a parlé, on n’a pas arrêté, ça s’est très bien passé.
Disons que l’effet ne m’est pas venu tout de suite, tout le monde était très speed et
complètement dedans. Et puis moi, je me retrouvais là, à pas savoir trop ce que
c’était, quel effet ça allait me faire.” En dehors du cannabis, B n’avait consommé
aucune drogue auparavant.
Après cette première expérience B. a renouvelé très rapidement ses prises. Cette
consommation d’ecstasy a eu lieu dans des circonstances très diverses, notamment
dans les clubs. “ L'expérience s’est renouvelée. On m’en a reproposé dans une
soirée, en boîte. On était parti et là, c’était l’extase sous une autre forme, parce que
j’étais en soirée, il y avait la musique à fond, c’était de la techno. On a pris un X ça
tombait bien, on était qu’à trois, j’étais avec mon copain. Là ce qui est excellent avec
l’ecsta c’est que mon copain et moi, ce soir là on s’est jeté dessus, c’était love love.
On a fait l’amour. ” Cette consommation a également eu lieu lors de grands
rassemblements “ raves ” et autres fêtes. “J’arrive à faire des fêtes sans ecsta, il n’y
a pas de problème. Mais en même temps, une grosse fête sans ecstasy, sur le fait,
tu as toujours envie d’en prendre. Toujours, toujours, puis, les gens viennent vers toi,
les gens te proposent, tu ne veux pas un X ? ”. Cependant B. considère que sa
consommation d’ecstasy est plutôt occasionnelle même si cette consommation s’est
accélérée pendant une période. Elle en consomme plus régulièrement. “ Un par
week-end, ça peut arriver, mais pendant les vacances. Là, ça fait un mois et demi
que je n’ai pas touché. ”96
Pour sa consommation, B. s’approvisionne auprès d’amis ou de dealers chez qui elle
se procure aussi du cannabis. “ Des potes, en général c’était des gens chez qui
j’avais l’habitude de prendre de l’herbe ou du shit. Ils faisaient un petit peu de deal
d’ecstas de temps en temps, ça tombait bien, ça ramenait des sous.” Elle achète
également sur place des ecstasy dans les boîtes et dans les fêtes raves. “ Parce que
l’on nous en propose et là, tu achètes sur place. Et puis finalement, lorsqu’on arrive à
une soirée et que l’on a envie de prendre quelque chose, on cherche à trouver des
gens qui ont ça. Le fait de chercher et de galérer pour ça, ça gâche le plaisir. Une
fois que tu es dedans, que tu as eu ta pilule, il n’y a plus de problème. Par contre,
quand je sens qu’il y a trop de problèmes pour en trouver, que je suis incertaine, je
préfère me saouler et me faire une raison. Ce n’est pas pour ce soir et on va faire
autre chose. ”
En dehors de sa consommation d’ecstasy et de cannabis, elle dit se méfier des
autres produits. “ Il n’y a pas longtemps, c’est arrivé, on s’est fait refourguer de la
merde . C’était visible, on ne l’a pas pris. Ca faisait vraiment cacheton de lessive. Ca
s’est fait au fond d’une salle dans le noir, donc on n’a pas capté. On l'a acheté, puis
on est allé voir après. C’est, bon, on ne peut pas, ce n’est pas possible, c’était bleu,
bizarre, ça ne faisait pas cacheton. Bon, un ecsta, ça a quand même l’aspect. Je ne
sais pas; même si tu ne connais pas bien, tu as toujours un petit dessin. Ca fait
cachet, c’est facile à prendre. Je pense que je ne pourrais pas prendre de la coke ou
des trucs comme ça, justement aussi, par rapport au fait que, ça fait vraiment drogue
dure, tu sniffes un coup. Tu t’en prends plein le nez, tu te débouches les narines, tu
sens l’effet direct. Le speed, tout ça, je n’ai pas envie, je ne sais pas. Bon l’ecstasy,
c’est facile, c’est un cachet, on a l’habitude de prendre des cachets. Ca va tout
seul. ” Cependant, il lui est déjà arrivé de prendre de la cocaïne et elle envisage
également d’essayer le LSD. “ Et là, cette fête qui va se faire en plein air, j’ai
vraiment envie de me défoncer la tête. Je compte prendre, vu que ça dure plusieurs
jours, je compte essayer le trip quand même, tu vois... On m’en a parlé, une
personne qui m’est proche, en qui j’ai confiance. Elle m’a prévenue des dangers et
m’a certifié que prendre un quart, ce n’était pas méchant. ”
B. a abordé la gestion de sa consommation d’ecstasy. “ Un, c’est bien, c’est très, très
bien. Je me sens, je n’ai pas envie de cumuler trois-quatre ecstas pendant une
soirée, parce que j’ai peur que cela m’affaiblisse trop après, que ce soit trop dur de
revenir. Et, je n’ai pas envie de m’habituer non plus à de grosses doses. Sa
consommation d’ecstasy devient presque nulle pendant la période universitaire,
notamment à l’approche des examens, mais elle continue toutefois à prendre du
cannabis. A la fin des examens, elle se met à consommer plus ou moins
régulièrement de nouveau. “ C’est la fin des examens, je sais que je vais avoir
besoin de me ressourcer. C’est les vacances, je sais que je vais en consommer
beaucoup plus que la période que je viens de vivre. Je sais que ça va me faire du
bien de me trouver dans cet état. ”
Elle parle également des problèmes liés à sa consommation d’ecstasy. “C’était
toujours les mêmes effets à chaque consommation. C’est-à-dire un problème de
mâchoire, les dents qui se collent les unes contre les autres sans que tu puisses
faire quoi que ce soit. Le remède que l’on trouve à ça, c’est le chew-gum. En
mâchouillant, tu te rends compte que tes mâchoires ne sont pas coincées, qu’elles97
fonctionnent encore. En descente aussi, tu te sens de plus en plus faible, tu sens
que tu as dépensé beaucoup d’énergie pendant une période. Tu es frileux, tu as
besoin de rester dans ce monde-là et de garder comme un petit cocon. Je ne peux
pas sortir, aller voir ce qui se passe dehors. J’ai besoin de rester dans un espace,
c’est toujours mieux avec des gens. J’ai besoin de rester dans un univers où, petit à
petit, tu vas redescendre sur terre. Pendant la journée qui suit, ce n’est pas possible
d’aller affronter l’extérieur. C’est une certaine peur de se sentir décalée par rapport à
ce qui se passe dehors, à tous les problèmes qui se passent dans le quotidien.
Sinon, un autre problème aussi, c’est que c’est impossible de manger quoi que ce
soit. Même si on se dit ‘il faut que je reprenne des forces’ on ouvre le frigo, on n’a
envie de rien. C’est un blocage au niveau de l’estomac. ”

4. Les problèmes sanitaires et sociaux
La toute première constatation consiste à dire que les discours sur la dangerosité de
l’ecstasy sont très contradictoires, voire franchement discordants. En fait, tandis que
l’ecstasy peut être présenté comme un produit inoffensif et parfaitement gérable, les
sujets peuvent aussi évoquer une longue litanie faite de toutes leurs plaintes
directement liées à leurs consommations. Parmi ces plaintes, notons l’existence
insistante des problèmes dentaires et d’autres troubles assimilables aux
conséquences classiques des abus d’amphétamines (amaigrissement, problèmes
psychiatriques). En d’autres termes, les usagers dans leur ensemble ignorent qu’ils
consomment un produit qui est une amphétamine (l’ecstasy) et dont les effets et
conséquences sont vraisemblablement proches de ceux des amphétamines.
“ J'ai aujourd'hui des problèmes importants d'allergie. Je ne sais pas si c'est lié à la
prise du produit. ”
“ Les problèmes sont médicaux et sociaux. Les généralistes que j'ai rencontrés ne
sont pas à même de soigner les effets secondaires liés à la prise d'ecstasy et
d'amphétamines. ”
“ J'ai des problèmes de santé: amaigrissement, crampes, palpitations cardiaques. ”
“ J'ai beaucoup perdu de poids, j'ai eu mal aux dents. Perte de mémoire. ”
“ Pendant l'effet de l'ecstasy j'ai mal aux dents et à la mâchoire. Après
consommation, j'ai froid, je suis crispée. ”
“ J'ai perdu dix kilos. J'ai des maux de dents, de mâchoires.
J'étais très irritable très méchant avec ma mère. Mon comportement changeait. J'ai
vécu une période difficile et douloureuse. ”
“ J'ai mal aux dents, des troubles de comportement. ”
“ Dans les semaines qui suivent la consommation d'ecstasy j'ai constaté des pertes
de mémoire et une baisse du moral. J'étais agressif, mal dans ma peau, peu98
sociable. Je me querellais avec mon copain. J'avais l'impression que mon entourage
manigançait contre moi. ”
“ Tu as des dérèglements quand tu as tes règles. C'est mauvais pour les dents,
l’estomac, mais surtout tu déprimes. Ca te fatigues vachement, tant que tu en prends
ça va, mais quand tu t'arrêtes... ”
“ Je ne mangeais plus, ne dormais plus. Je ne me nourrissais que d'ecstasy. Je ne
vivais que la nuit, le jour on restait dans des maisons aux volets fermés en écoutant
de la musique. J'ai perdu du poids. Ma vue a baissé, j'ai eu des problèmes dentaires.
J'ai l'impression d'avoir fatigué mon coeur et mon corps. J'ai eu des moments de
dépression. ”
“ Pendant l'effet de l'ecstasy j'ai mal aux dents et à la mâchoire. Après
consommation, j'ai froid, je suis crispée. ”
“ J'ai des problèmes articulaires. Le lendemain je me sens désemboîté. ”
“ Les jours qui suivaient la prise, je mangeais difficilement, j'étais fatiguée, déprimée
et attendais impatiemment la nouvelle prise. Cercle vicieux. ”
“ J'ai des trous de mémoire, des problèmes d'estomac. Les ecstas c'est de la merde,
après mûre réflexion. A la fin mon corps les rejetait. ”
Ces difficultés vont de pair avec leurs conséquences sur le plan social et familial, les
sujets ont tendance à s’isoler, se plaignent de ne plus pouvoir communiquer avec
leurs proches, ont du mal à aller travailler, perdent leur emploi, ont des difficultés
financières...
“ J'ai des problèmes relationnels avec mes parents et ma copine, liés à la
consommation. Je n'arrive plus à communiquer avec mes parents. Ma copine
consomme également, notre relation est instable, nous nous voyons souvent lorsque
nous avons consommé. Je ne la connais pas réellement naturelle. ”
“ J'ai eu beaucoup d'arrêts maladie. Les réveils sont difficiles. J'ai eu mal aux reins,
des douleurs musculaires, une perte de poids. J'avais aussi des migraines. Je
ressentais un certain manque psychologique. J'avais des difficultés à mémoriser. ”
“ Le produit marginalise par rapport aux collègues de travail qui n'ont pas vécu ce
type d’expérience. Je trouvais qu'ils avaient une vie fade. ”
“ C'est impossible pour un consommateur quotidien d'ecstasy de travailler. On croit
qu'on assure mais on n'assure pas du tout.
Au niveau santé, je crois que ça doit abîmer quelque part, mais je ne sais pas bien
où... ”
“ Les deux jours qui suivent la prise d'ecstasy, je suis fatiguée et de ce fait pas très
motivée pour travailler. Quand j'ai des problèmes de santé, je me demande si c'est
lié à la prise de produits ou pas? ”99
“ Je suis démotivée dans mes études. Je me dispute avec mes parents
régulièrement à cause de ma consommation. J'éprouve un désintérêt pour le monde
extérieur. ”

5. La sexualité
Vendue et présenté initialement comme un produit “ sexuel ”, aphrodisiaque, ouvrant
à l’amour, l’ecstasy véhicule avec lui tout un discours sur la sexualité. Pour les uns,
l’amour est précisément ce qui pourrait permettre l’évitement des relations sexuelles,
notamment chez les plus jeunes. Pour les autres, le produit peut donner une
nouvelle dimension à leurs relations sexuelles. Dans tous les cas, la découverte de
nature sexuelle est celle d’une sensualité différente, nouvelle, liée à une perception
originale de son propre corps. Ce thème, délicat et complexe, devra être traité de
façon beaucoup plus détaillée dans une recherche ultérieure. Notons enfin que la
consommation d’ecstasy, sous réserve d’analyses ultérieures, ne semble pas être à
l’origine de dérives significatives sur la capacité des usagers à se protéger contre le
SIDA et les MST.
“ Sous ecstasy j'étais assez sensuelle: besoin de toucher les autres. Plaisir à sentir
l'air, les températures, à humer une odeur, entendre les sons. Une seule fois j'ai
consommé un ecstasy et pendant la montée, j'ai eu très envie d'avoir une relation
sexuelle. ”
“ Je n'ai jamais eu de relation sexuelle sous l'effet de l'ecstasy. ‘ Tout le monde est
beau et gentil ‘ ne signifie pas qu'on veuille faire l'amour avec tout le monde! ”
“ L'effet de l'ecstasy favorise les préliminaires. De la sensualité à la sexualité mais
pas tout de suite. Il m'est arrivé une expérience autour de laquelle mon partenaire
n'a pas eu d'érection. ”
“ L'ecstasy procure un effet euphorique. En club, je peux désirer l'autre sur le
moment de la montée, de la danse. Par contre, en rentrant de la fête, je ne pense
pas et ne désire pas avoir de relation. Je préfère me reposer. ”
“ Il y a des moments ou je me sens très love, j'ai envie de toucher les gens, de leur
dire que je les aime. La sexualité ne me tente pas quand je consomme. ”
“ Je me sens bien dans mon corps. Je n'ai aucune relation sous ecstasy, je n'en
éprouve pas l'envie. ”
“ Sous ecstasy, je n'ai pas réussi a avoir d'érection, de relation sexuelle. Je me sens
tendre avec tout le monde, homme comme femme sans éprouver de désir sexuel. ”
“ Je trouvais tout le monde beau et gentil. J'avais la sensualité exacerbée et une
grande envie de communiquer. J'ai effectivement éprouvé des pulsions sexuelles qui
n'ont cependant pas été assez fortes pour passer à l'acte. En fait je me sentais trop
raide. ”100
“ La sensation, le plaisir est démultiplié. Je me sens, lorsque j'ai une relation sous
ecstasy, plus attentif au partenaire. ”
“ En consommant de l'ecsta je me sens plus love. Si je suis avec un partenaire, la
relation physique est plus ardente. ”
“ Je suis plus sensible, le corps est plus réceptif au toucher. Je prenais plus de
plaisir, j'étais plus détendue, plus à l'aise physiquement. ”
“ Pendant la montée du produit je n'avais pas spécialement envie de relations
sexuelles, j'avais plutôt envie de danser. Quand l'effet s'amenuisait, j'avais envie de
vivre un moment plus tendre. ”
“ Le désir était plus présent. J'étais une bête au lit. La relation durait longtemps, était
très intense au niveau physique et énergie. J'avais beaucoup d'érections. ”
“ Grande conscience de son corps et du pouvoir qu'on a sur lui de le faire
fonctionner comme on le souhaite, de ressentir profondément le rythme de la
musique. Ce plaisir sensuel pousse à chercher le meilleur des usages. ”
“ Sous l'effet du produit, je n'étais pas tenté par une relation sexuelle. Je regardais
moins les filles, je pensais au présent sans anticiper. ”
6. La distribution des produits
Il s’agit là également d’un thème qui devra être beaucoup plus approfondi. La
logique de la distribution d’ecstasy se fonde sur le fonctionnement des groupes
concernés et utilise des réseaux sociaux existant déjà pour la distribution d’autres
produits, notamment le cannabis. Ceci donne à la distribution de l’ecstasy une
dimension relativement conviviale, en tout cas au niveau des consommateurs : les
dealers sont ou deviennent des amis, les dons et partages sont très répandus, de
nouvelles modalités se développent (deal de salon). Les formes de la distribution,
enfin, sont différentes dans les raves et dans les clubs. Cette distribution, de façon
schématique, s’organise de haut en bas à partir des maillons suivants : 1) les
importateurs, petits ou gros et qui réalisent les profits les plus importants ; 2) les
revendeurs, qui distribuent souvent plusieurs produits en même temps (ecstasy,
cannabis, cocaïne) ; 3) les usagers, que l’on peut trouver à tous les étages de la
distribution et qui assurent, de fait, la plus grande partie de la distribution au détail, le
plus souvent avec bénéfice, mais pas toujours. Certains consommateurs évitent
d’acheter à l’unité et prennent de grosses quantités pour bénéficier des prix les plus
bas et des “ cadeaux ” que font les dealers. Inversement, d’autres n’achètent que
pour leur consommation immédiate, afin de se protéger de consommations
répétitives ou trop importantes. Certains, comme pour le cannabis, entrent dans
cette logique selon laquelle une petite activité de revente est ce qui permet de
financer sa propre consommation et ainsi de suite... A ce mécanisme général, il faut
ajouter un certain nombre d’alliances entre usagers, revendeurs, dealers et
organisateurs événements.101
“ Je dealais de l'ecstasy dans la rue pour payer ma consommation. Au début de ma
période de consommation c'était la fête pendant six-huit mois, je consommais
raisonnablement en quantité. La deuxième année et celles qui ont suivi je sortais
énormément en club en Belgique: vendredi, samedi, dimanche et je consommais par
routine. Puis, petit à petit, j'ai consommé aussi l'après-midi. Le groupe dans lequel
j'étais vendait de l'ecstasy et nous en prenions du midi au soir. ”
“ J'aime aller dans les clubs et danser. Le produit me permet de danser toute la nuit.
Je vends de l'ecstasy et cela me rapporte de l'argent. Je me les procure par centaine
en Belgique et je les paie dix francs l'unité. ”
“ (...) juste avant de consommer tous les jours, on m'a proposé de faire des plans,
d'acheter une plus grosse quantité pour moins cher. Au lieu d'acheter à l'unité, j'en
prenais par dix. Au début, je n'en n'avais pas beaucoup. J'achetais huit cents balles,
j'en avais deux gratuits au début. Puis ainsi de suite, en connaissant les gens, je
commençais à en connaître qui vendaient en plus gros, qui vendaient moins cher et
ainsi de suite. (...) (Et les produits, tu savais d'où ils venaient?) De Hollande, sauf
une fois j'en ai eu qui venaient de Pologne. Et ça, c'est la personne qui est allée les
chercher en Pologne à dix francs. C'est pratiqué beaucoup dans les pays de l'Est, il
paraît. (...) J'en vendais, mais je vendais juste. Par exemple, j'ai pris un plan une fois
de cent pilules, j'ai payé trois mille francs. J'en ai revendu trente, j'ai mangé l'autre
partie. J'en ai peut-être offert une dizaine. ”
“ Chaque fois que je sortais, j’avais des potes qui trafiquaient. J’ai toujours refusé de
parler au dealer, j’ai pas envie, ça me gonfle de dealer des ecsta, de la came, d’être
là à acheter. Ca m’arrivait, je me déchargeais complètement de l’affaire, je filais les
tunes à un pote et je disais voilà : 150 balles, même si tu le touches à dix sacs j’en ai
rien à cirer, je te file 300 balles et tu m’en ramènes deux et puis voilà. ”
“ Ben à l’époque j’ai l’impression que c’était très facile quoi... trop facile
apparemment je pense, tu croisais un mec, tu lui filais 100 balles, il t’en filait un. Mais
bon c’était pas caché tu vois, maintenant je vois plus ça, je vois plus des gens en
train de s’acheter ou de vendre des trucs, je vois plus ça, je sais pas où ça se fait, ça
se fait par un autre réseau, peut-être que les gens vont directement chez les
consommateurs, les dealers se déplacent ou vice versa tu vois...Ca se fait beaucoup
moins parce qu’il y a beaucoup plus de risques pour le dealer tu vois, qui rentre dans
une boîte avec cinquante ecsta sur lui, ça à mon avis, c’est un peu terminé quoi tu
vois.”





XI. LA “ TECHNO ”, UN VASTE MOUVEMENT

1. Le mouvement " techno "
Le mouvement dit “ techno ” est loin d’être uniforme. Il est perçu par certains comme
un retour voir un prolongement des années 60 et 70, tant dans l’expression artistique
ou la façon de s’habiller, qu’à travers l’esprit psychédélique recherché par les ravers.
Ceci se constate également à travers le goût du voyage de certains groupes (les
travellers) et les pèlerinages dans des lieux mythiques tels qu’Ibiza ou Goa.
D’autres attribuent au mouvement techno un statut de “ contre-culture ”, voire de
culture révolutionnaire. Les raves-parties, qui réunissent des milliers d’individus,
intégreraient pour l’essentiel les différences et aboliraient les structures sociales,
raciales et sexuelles vues comme rigides dans la société établie. Les raves-parties
instaureraient parmi les jeunes un sentiment d’amour collectif, un nouveau “ peace
and love ” et réussiraient là où aurait échoué le mouvement hippie. Le monde des
raves traduirait donc une tendance à l’insoumission, au non-conformisme et au désir
de s’affirmer. Ce mouvement renfermerait les éléments nécessaires à la lutte contre
la culture dominante, la culture de masse et l’individualisme.
D’autres voient ce mouvement comme beaucoup plus élitiste. Le mouvement techno
s’opposerait point par point à tout ce qui est populaire : mouvement ouvert, oui, mais
pas à n’importe qui. Pour appartenir au mouvement techno, Il faut avoir les moyens
de se déplacer dans les raves ou d’aller dans les discothèques, de consommer des
drogues coûteuses, de voyager... Les jeunes de banlieue en seraient écartés.
Quant à la consommation d’ecstasy et des autres drogues dans ce mouvement, elle
s’intègre naturellement dans de multiples activités sans, bien-sûr, en résumer
aucune. C’est ainsi, par exemple, qu’elle est présente -mais seulement présentedans les rave-parties et qu’elle est repérable de la même façon dans d’autres
milieux, que ce soient les milieux gays, ceux de la musique techno ou ceux, encore,
des consommateurs d’autres drogues illicites. Nous sommes en définitive confrontés
à un mouvement qui s’est considérablement amplifié depuis le début des années 90
et qui, pour une part, à la dimension d’un vaste et complexe mouvement culturel et
social.
La population qui s’intéresse au mouvement techno, aux rave-parties et la
consommation d’ecstasy et des amphétamines est très hétérogène. Il s’agit de
réseaux de jeunes et de jeunes adultes qui composent de petits groupes de trois à
une dizaine de personnes, parfois davantage et qui sortent, “ bougent ” ensemble. Ils
partagent des activités telles que musique, danse et consommation de drogues
(cannabis, LSD, ecstasy). Il s’agit parfois de couples et plus rarement de personnes
isolées. Ils sont dits: ravers, lovers, weekenders, gobeurs, ecstasiés... Parmi eux,104
une place particulière doit être réservée aux “ travellers ” ou aux “ tribus ”: il s’agit de
jeunes de trente ans ou moins, ne travaillant pas, n’ayant généralement pas de
domicile fixe et qui passent leur vie en voyageant, parfois avec femmes et enfants,
d’une manifestation à une autre, d’un pays à un autre. Leurs ressources
économiques viennent souvent de leurs activités dans les “ free parties ”: vente de
produits divers (boissons, alimentation, drogues...), mise à disposition de matériel
(sono, groupes électrogènes...).
Dans la majorité des cas ils sont âgés de moins de trente ans. Ils sont lycéens,
étudiants, salariés... Quelques uns sont sans activité. A Paris, nous avons exploré
les milieux de la nuit (bars, discothèques, clubs). Les personnes rencontrées au
cours de cette étude, enfin, sont soucieuses de l’image du mouvement techno et ne
veulent surtout pas que la musique techno soit associée systématiquement à la
consommation des drogues.

2. La circulation de l’information
Tous les moyens d’information existants sont utilisés pour annoncer tel ou tel
événement, qu’il s’agisse d’une fête locale ou d’un grand événement national ou
international. Les organisateurs choisissent un ou plusieurs média pour annoncer un
événement. De même, ces organisateurs, lancent des centaines parfois des milliers
d’invitations. De ce fait, l’information circule de manière verticale et horizontale.
Souvent, cette information est incomplète au début de sa diffusion. Il appartient aux
ravers d’en rassembler les éléments. L’heure et le lieu exacts ne sont parfois
communiqués qu’à la dernière minute. Les plans d’accès à la fête sont distribués sur
le lieu du rendez-vous quelques heures avant le début de la fête.
L’information est ensuite relayée par les différents groupes et individus. Parmi les
fêtes annoncées, les groupes et les individus font leurs choix pour le week-end et
parfois établissent un programme de tournée à moyen ou long terme. Les travellers
et autres nomades, quant eux, établissent des programmes de tournées à plus ou
moins long terme. Les critères de sélection de raves varient en fonction des intérêt
des uns et des autres : les DJ qui vont animer la fête, le nombre de personnes
attendu, le lieu, la distance.
Pour faire circuler l’information dans le milieu, le téléphone et le bouche à oreille
fonctionnent bien : les amis et les amis des amis etc. Les personnes qui reçoivent
des invitations sont des personnes clefs qui font circuler l’information autour d’elles.
Les “ flyers ” sont également un moyen très efficace de faire circuler l’information. Ils
sont disponibles chez les disquaire et dans d’autres lieux. Ce sont de petits
prospectus qui annoncent les fêtes (rave-parties, technivals, free-parties).
L’information passe aussi par la presse écrite (“ Nova Magazine ”...), par certaines
stations de radios (“ fréquence Gay ”...). Enfin, il y a le Minitel et l’Internet. Les
organisateurs de “ raves ” s’appuient sur l’ensemble de ces moyens, y compris par
voie d’affiche, pour faire circuler l’information. L’affiche qui annonçait la “ LOVE
PARADE ” de Berlin pour le 12 et le 13 Juillet 1997 couvrait les murs de toutes les
universités parisiennes et probablement de toutes les universités françaises. Cette
affiche, qui invite les étudiants français à se rendre à Berlin pour assister à la “ LOVE
PARADE ”, leur propose différentes formules. Pour la formule “ transport plus nuit en
car couchettes ”, le prix est de six cent cinquante francs au départ de Paris, Reims,
Nancy, Metz Strasbourg. Il est de sept cents francs au départ de Grenoble, Lyon,
Dijon, Besançon, Belfort, Mulhouse. Pour Nantes, Rennes, le Mans, Marseille, Aix,
Avignon, Montpellier, Nîmes, Valence le prix est de huit cent cinquante francs.
D’autres formules sont proposées, la formule de trois jours et deux nuits et la
formule transport plus hôtel.
L’utilisation des boites vocales pour diffuser les informations concernant les freeparties et pour faire circuler n’importe quel message est courante. Les numéros
(Infoline) sont annoncés par des flyers et changent en permanence. Les personnes
intéressées par les raves ou free-parties appellent généralement vers 22 heures
pour avoir le plan d’accès à la fête. Parfois, l’information n’est donnée que vers
minuit.
Exemple: Infoline : 36 73 41 41 code 44226688. Cet infoline a été utilisé pour le
samedi 14 Septembre 1996, en région parisienne pour la Free Power Posse
(IMPAKT TEKNOKRATES, P. TOINOU, traveller de l’espace).106

3. Le rôle de la musique
La musique est l’un des éléments les plus importants qui composent ce mouvement
culturel. Cette musique dite “ techno ” où la voix est quasi absente et où seule la
machine travaille est en fait très variée et comporte des courants ou des styles
différents les uns des autres.
On distingue parmi les nombreux courants qui composent la techno: 1) ProgressiveHouse, qui est un retour à un tempo plus lent; 2) Hardcore, avec des beat qui
avoisinent les 150 battements par minute; 3) Le Breakcore, qui dépasse les 210 et
parfois les 250 battements par minute; 4) Ambient, une rythmique discrète, moments
planant de la rave, emprunté à des groupes tels que Pink Floyd; 5) Transe; 6) Newage, musique électroacoustique.
Au début de ce mouvement, il s’agissait de la musique dite “ acid-house ” ou “ Newbeat ”. Une musique qualifiée de postindustrielle et speed. Elle a été portée par les
nouvelles technologies informatiques et télématiques. C’est une musique qui
intéresse la génération des moins de trente ans et qui est qualifiée par leurs aînés
de musique répétitive, inécoutable, assourdissante, indansable...
Les groupes ont des préférences pour tel ou tel style de musique. Ceux qui écoutent
la “ Goa ” auront tendance à s’habiller “ indien ”, dans leurs rassemblements on
reconnaît dans le décor des images de bouddha, de ganesh etc. Ceux qui écoutent
plutôt le style “ hard-core ”, écoutent la musique dans des lieux plus austère, sans
décor. Leur “ look ” est différent de celui des précédents: crâne rasé, nombreux
piercing, tatouages sur le crâne et dans le cou... Enfin, ceux qui écoutent du “ Dub ”,
ont tendance à ressembler aux rasta-men. Ils consomment beaucoup d’herbe et des
amphétamines.
A la question quel type de musique vous écoutez, les réponses des sujets de notre
échantillon sont très variées. Certains parlent de MUSIQUE ELECTRONIQUE,
MUSIQUE PSYCHEDELIQUE ou MUSIQUE RAPIDE. D’autres sont plus précis et
parlent de HOUSE, CLUB HOUSE, ACID, ACIDCORE, FRANCE CORE,
FOLK/ACIDE, JUNGLE/PUNK, TECHNO, TECHNO/TRANSE, TECHNO/JUNGLE,
FUNK/TECHNO, PUNK/TECHNO, GOA, GARAGE, AMBIANT, SOUND,
UNDERGROUND... Enfin d’autre musiques sont également écoutées. Il s’agit du
REGGAE, BLUES, JAZZ, ROCK, SALSA et FUNK.
De nombreux sujets parlent des liens étroits qui existent entre la musique et la
drogue. Certains vont même jusqu'à dire que la musique techno et la puissance des
décibels avec lesquels elle est diffusée ne sont supportables que sous leur effet. Ils
disent que lorsqu’ils ont consommé ils n’écoutent pas la musique de la même
manière, ils apprécient mieux, que cela leur procurent plus de sensations.
Les drogues sont souvent consommées par les jeunes avant d’arriver sur les lieux
où se produisent les événements musicaux. La consommation des drogues se fait
également sur place.
“ Je consomme lors d’événements musicaux. Je ressens mieux la musique. De plus,
j'apprécie d'avoir de l'énergie toute la nuit. Si un produit naturel avait les mêmes
effets, je le consommerais. ”107
“ J'ai de l'énergie, je suis sereine. La combinaison techno/ecstasy a un effet
hypnotique. C'est jouissif, je ne fais qu'un avec l'environnement. ”
“ Je plane sur la musique. Je suis en communication, en harmonie avec les sons
plus qu'avec les gens qui m'entourent. Je suis plus communicatif.”
“ J'ai l'impression de me rapprocher des personnes qui ont également consommé de
l'ecstasy. Je pars dans la musique et les sons. Je prend conscience de certaines
réalités. Pendant la montée, je sens une hypertension, comme une fièvre, c'est
proche de l'orgasme. ”
“ La forme, la fête, mes perceptions auditives s'affinent, je suis plus réceptif à la
musique. Un dialogue s'installe entre la musique et moi. ”

4. Données sur l’environnement
Cette phase exploratoire du mouvement “ techno ” et de la consommation d’ecstasy
nous a permis de recueillir un certain nombre d’éléments sur l’environnement des
consommateurs. Ces informations sont relatives aux lieux, aux événements et aux
différents acteurs qui interviennent dans ce champs.
* Les lieux
Les fêtes qui rassemblent les jeunes peuvent avoir lieu dans des propriétés privées :
appartement, château, terrain privé... ou des lieux publics : discothèques, salles de
fêtes... Ces fêtes peuvent également avoir lieu dans des endroits squattés pour la
circonstance. Il peut s’agir d’un terrain vague, de plages ou de forêts. Mais il s’agit
parfois de lieux insolites tels que les hangars désaffectés, parkings ou bâtiments
abandonnés. Les organisateurs de rassemblements (rave-party) ont parfois recours
à des chapiteaux et peuvent louer des salles. Ces endroits sont choisis de
préférence à l’écart des lieux d’habitation. Plusieurs exemples : le parking de
Montreuil (MOZINOR), les bâtiments de Rungis, le chapiteau “ Stadium ” à Bourges,
le blockhaus de la forêt de Nieppe ou la forêt de Fontainebleau.108
* Les événements
Les jeunes se rencontrent fréquemment, en petits groupes, pour écouter la musique,
pour échanger et pour consommer des drogues : cannabis, alcool, ecstasy... Ils
organisent aussi des fêtes “ teufs ” qui réunissent quelques dizaines de personnes,
parfois davantage. Ensuite il y a les sorties (bars, discothèques), principalement le
week-end et parfois en semaine. Ces établissements sont capables d’accueillir des
centaines de personnes pour écouter la musique et danser. Certains se sont
spécialisés pour accueillir un public particulier. Puis les grands rassemblements
locaux et régionaux. Enfin, certains s’organisent pour participer à des événements
internationaux ou qui se passent dans les pays voisins, la Belgique pour les dancing,
la Suisse, l’Espagne, l’Italie pour des rave-parties ou Berlin (un million de personnes)
pour le plus important des rassemblements la “ Love Parade ” qui a lieu depuis trois
ans au mois de juillet. Soulignons également que la “ Gay-Pride ” prévue en juin 97 à
Paris a réuni de deux à trois cent mille personnes venues de toute l’Europe.
Les fêtes “ teufs ”, les concerts, les festivals, les raves ont lieu toute l’année. Mais
elles sont plus nombreuses le printemps et l’été. A Paris, les jeunes ont le plus
souvent le choix entre plusieurs rassemblements ayant lieu le même jour à des
endroits plus ou moins éloignés de la capitale. Le choix se fait souvent en fonction
des moyens de transport. Pour ce qui concerne les rave dites “ intra-muros ”, les
organisateurs mettent à la disposition des jeunes des navettes (mini-bus, camions,
voiture) qui viennent les chercher sur le lieu de rendez-vous. Pour les autres
rassemblements les jeunes doivent se débrouiller seuls. Lorsque l’un d’entre eux a
une voiture, ils se partagent les frais de déplacement. Dans le cas contraire, ils se
cotisent pour louer une voiture.
En marge des raves: les jeunes profitent de l’occasion pour se retrouver avec
d’autres groupes : avant, pour préparer le déplacement et après, pour prolonger la
fête. Certains clubs, sont spécialisés dans les “ Afters ”. Ils ouvrent la matin pour
permettre aux jeunes qui ne veulent pas rentrer de prolonger leur sortie. Les
“ afters ” font parfois partie de la “ rave ” elle-même et sont pris en charge par les
organisateurs.
* Les  Acteurs
Les acteurs qui interviennent dans ce champ sont nombreux. Certains s’occupent de
l’information et de la communication (Internet, affiches, flayers ...). D’autres se
chargent de la chimie et des produits. D’autres, de la musique (les disques, les cd,
les mixes...). Certains s’investissent dans des activités de prévention comme Techno
plus ou des équipes de secouristes. D’autres s’occupent de l’organisation des fêtes,
du transport, de la sécurité, de la vente ou de la location de matériel divers (sono,
véhicules, groupe électrogène...).
Certaines personnes jouent un rôle important dans le mouvement. Ils se distinguent
par des compétences qui nécessitent parfois une longue formation. Ils sont
informaticiens, électriciens, musiciens, ingénieurs de son, décorateurs... Quant aux
animateurs des fêtes, ils jouent un rôle particulier. Les disc-jockey qui animent109
différentes fêtes, ont un rôle essentiel. Certains d’entre eux sont devenus des stars
et attirent beaucoup de jeunes. Enfin, d’autres acteurs gravitent autour de ce
mouvement : dealers, vendeurs de sandwichs, de boissons, disquaires... qui sont
aussi des relais pour l’information.
* Le groupe
Le plus souvent, les jeunes qui s’intéressent à la techno constituent des petits
groupes informels de dix personnes environ (hommes et femmes). Ils font la fête
ensemble. Ils se déplacent en groupe pour aller dans les discothèques et les grands
rassemblements. Ils ont des affinités entre eux, parfois ils sont du même quartier et
fréquentent ou ont fréquenté les mêmes établissements.
Certains groupes font connaissance à travers l’Internet, se rencontrent et font la
fête ensemble. Certains d’entre eux consomment de l’ecstasy ou d’autres drogues.
Il s’agit des cyber-gobeurs, des bidouilleurs... Certains groupes qui se forment à
travers l’Internet restent toutefois des groupes “ virtuels de fait ”, par exemple la
communauté des zippy.
“ C’est un mouvement de groupe, motivée par la curiosité, je l'ai consommé avec des
amis. J'en ai repris après un break de deux ans parce-que j'étais accompagnée
d'amis dans un contexte favorable. ”
“ J'ai beaucoup de relations intenses et profondes qui se créent. Progressivement,
avec le groupe avec lequel je consomme, nous arrivons à vivre des moments
intenses, sincères, sans consommer. J'ai envie de les amener à ça, à avoir des
grands échanges d'amour. ”
“ Je l'ai vécu comme un phénomène de groupe et de mode. Le groupe a commencé
en même temps et a stoppé en même temps. Le groupe est devenu plus
raisonnable. Des événements comme la mort d'un proche m'ont poussé a arrêter. ”
* La danse
La danse occupe une place importante dans le mouvement “ techno ”. Ecouter de la
musique pour danser et prennent des produits (ecstasy) pour pouvoir danser toute la
nuit. Danser permet aux uns de s’exprimer ou de se défouler, aux autres de être en
transe et à d’autres, enfin, de s’intégrer au groupe.
“ J'étais très loquace. Moi qui ne dansais pas, sous ecstasy j’ai dansé sept heures
sur une soirée de douze heures. Même si j'ai arrêter de consommer depuis deux
mois, les portes que j'ai ouvertes grâce à l'ecstasy, le speed, sont restées ouvertes. ”
“ La première fois, j'ai consommé pour découvrir, mes amis en avaient déjà pris. Si
j'en reprends, c'est quand je sors, qu'une soirée est prévue, qu'on va se défouler,
danser. La prise est très liée à la danse. ”110
“ Je communique avec les autres, je suis aimable, souriante. En même temps je
plane, je suis sur mon petit nuage. Je me sens bien dans ma peau. Je danse des
heures sans m'arrêter et je pars sur la musique. ”
“ Sensation de bien-être. L’ecstasy, permet de danser longtemps. Plaisir partagé. ”
“ Stimulant physique. Peut danser tout au long de la nuit. Côté "happy". ”
“ Je peux danser toute la nuit, voire deux jours d'affilée, surtout si j'ajoute du speed.
J'aime danser, cela me libère, je me sens bien dans mon corps, je suis léger, en
forme. ”
“ Moi c'est pour danser. Au départ je suis sportif, donc j'ai la forme et je suis
physique. Tu ressens les choses autrement mais tu es lucide. Ma préoccupation
c'est la qualité, peur de tomber sur un truc dangereux. "





XII. CONCLUSION
D’un point de vue méthodologique, nous constatons la grande difficulté que nous
avons eue à mener une telle étude dans les limites de ses ambitions premières. En
fait, au fur et à mesure de la progression du travail, nous avons été amenés à
dépasser le cadre d’un travail strictement exploratoire pour commencer une analyse
à bien des égards beaucoup plus fouillée. Une des raisons à cela est précisément
que nous sommes confrontés, ici, à un thème de recherche nouveau, inexploré et
porteur d’interrogations qui sont, pour certaines, inquiétantes du point de vue de la
Santé Publique.
Toute une évolution s’est produite depuis cette époque de la moitié des années 80
où les premières gélules d’ecstasy sont arrivées en France, en petit nombre,
essentiellement distribuées dans le monde de la “ jet-set ”. Aujourd’hui, surtout
depuis 1995 semble-t’il, l’ecstasy est devenu un produit beaucoup plus largement
distribué, disponible dans tous les milieux sociaux, à un prix qui n’a cessé de
diminuer. A côté des milieux de la nuit, nous trouvons maintenant des lycéens, de
jeunes ouvriers, des élèves des grandes écoles... aussi bien que des publics
beaucoup plus marginalisés ou en situation d’errance. Cette consommation, en
outre, est à voir comme parfaitement intégrée à un mouvement culturel: le
mouvement techno. De la sorte, même si nous ignorons le nombre de tels
consommateurs, nous pouvons dire qu’il correspond à un phénomène en pleine
expansion, non limité à un petit nombre d’initiés ou à une élite.
Deux scènes principales ont été explorées: les clubs et les raves. Elles
correspondent à des groupes sociaux distincts, où la prise de produits psychotropes
joue un rôle important, quoique non généralisé. L’alcool, d’une part, et le cannabis,
d’autre part, y ont des places spécifiques. Mais nous pensons que ces deux scènes
ne résument pas les différents aspects de cette consommation. Le cheminement
actuel de l’ecstasy est celui d’un produit qui passe d’un statut à un autre: d’un produit
réservé à une certaine élite à une drogue à part entière, en cours de définition,
associée à de multiples autres consommations, pour un public bien plus large.
Plusieurs points, ici, sont hautement problématiques, dans un contexte où nous ne
connaissons que très mal la composition chimique exacte des produits qui circulent
sous diverses appellations. Dans quelle mesure les comprimés d’ecstasy sont-ils du
MDMA? Quel est le dosage en di-ethylamide de l’acide lysergique des “ trips ”,
“ acides ”, “ pointes ”, “ micro-pointes ”, “ buvards ”... disponibles sur le marché? Les
“ speed ” sont-ils des amphétamines et, si oui, lesquelles? Qu’en est-il du super K?
Les interrogations de type épidémiologique que nous pouvons formuler sont surtout
liées aux consommations associées. Nous savons que la consommation d’ecstasy
s’est greffée sur une autre consommation, pré-existante dans l’immense majorité
des cas, celle du cannabis. Mais nous constatons qu’elle reste rarement isolée:
l’ecstasy se conjugue avec beaucoup d’autres produits. Ils viennent renforcer les
effets de l’ecstasy (cocaïne, “ speed ”...), limiter les conséquences les plus redoutées
lors de la “ descente ” (cannabis, héroïne, alcool, tranquillisants...) ou, encore,
moduler ou transformer l’expérience elle-même (LSD...). Ces consommations112
secondaires, à leur tour, sont autant de points d’appel pour le recours à ces mêmes
produits, ou à d’autres, dans un sens ou dans un autre. Il en résulte pour les
usagers, via des cheminements complexes et non encore explorés, des passages à
des situations nouvelles: parmi celles-ci, les consommations intensives de produits
multiples et la dépendance à l’héroïne, en association ou non avec d’autres
complications médicales ou psychiatriques.
Ainsi, pour ce qui est de l’évaluation des effets secondaires de cette consommation
d’ecstasy, pouvons-nous formuler l’hypothèse suivante: ils ne seraient pas dominés
par les problèmes de la tolérance ou de la dépendance, ceux de la morbidité ou de
la mortalité ou ceux, enfin, des risques de contamination par le virus du SIDA, mais
bien par les dérives de cette consommation. De ce point de vue, il importe aussi de
s’interroger sur les rôles respectifs de certains produits mal identifiés et notamment
les amphétamines, dites “ speed ”.
Une meilleure connaissance de tous les aspects de la consommation d’ecstasy et,
surtout, des consommations associées, est un préalable indispensable à la mise en
place d’interventions préventives adaptées, plus systématiques et ciblées. Mais ce
premier travail n’est qu’un travail exploratoire. Il devrait se prolonger par une
recherche plus détaillée et diversifiée.





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c'est plus un dossier,c'est une encyclopédie ^^